Un recueil pris un peu au hasard parmi les multiples anciens numéros proposés sur le stand du Club des Présences d’Esprit lors des Utopiales 2019, je me suis enfin plongée dans sa lecture, au programme, trois nouvelles, une de fantasy et deux de science-fiction, et à la fin les trois textes vainqueurs du match des Imaginales 2017.
Fleur de Jade et le Chasseur-Fantômed’Amria Jeanneret
Fleur de Jade est une jeune sorcière alliant la plus pure tradition japonaise et la modernité propre à son époque. Elle et sa servante Hanako reçoivent la visite du Chasseur-Fantôme, l’émissaire du dieu Vent, qui la charge de la réalisation d’un sort de haut niveau. C’est un grand honneur fait à la jeune sorcière, mais se cacherait-il derrière un autre dessein ?
Une nouvelle qui m’a beaucoup plu. Je me suis crispée un instant quant au devenir de l’héroïne, mais finalement, les choix narratifs de l’autrice sont intéressants et participent au charme de la nouvelle. L’atmosphère liée à l’imaginaire japonais est intéressant, et la magie graphique mise en scène est bien trouvée. La résolution finale est très sympa, l’autrice relie habilement tous les fils qu’elle a tirés. Un texte rafraîchissant.
Je… je suis le sable d’Elric Elbaze
Un an plus tôt, la mère du jeune Boubi amène celui-ci au Docteur Chauvin. Le garçon semble perdu dans son monde, mais possède des facultés qui fascinent le docteur. Aujourd’hui l’homme de science a été réquisitionné dans le plus grand secret par les autorités militaires pour s’occuper du jeune garçon. En effet, les dessins de celui-ci sont étrangement prémonitoires et, tout pousse à croire qu’il est au courant de l’imminence d’une invasion extraterrestre…
Coup de coeur pour cette nouvelle dans laquelle j’ai eu un peu de mal à entrer. La mécanique sur laquelle repose le texte de l’auteur est super, j’ai trouvé ça très bien pensé, et les perspectives offertes très alléchantes. Le bouclage de la boucle est également super. C’est presque le genre de texte autour duquel un développement plus long me plairait beaucoup.
Speed Club de le Barde dans la machine
Le Speed Club, c’est un repaire de drogués, de junkies, tous amoureux fous de vitesse, perdu au milieu de nulle part. Un lieu où l’amitié et l’honneur n’ont pas de sens pour grand-monde, mais ils en ont pour moi. Et quand mon meilleur pote cane en pleine course sur un coup en traître, faut pas s’attendre à ce que je laisse passer sans rien dire.
Très bon texte que celui-ci, pas tant dans l’histoire que dans le ton employé. Bien que n’ayant jamais vu Mad Max, j’y ai forcément pensé. Le côté très post-apo-trash avec un côté western du futur assez marqué. Le côté « déglingos » de l’univers, des personnages, et le parler de ces derniers participent vraiment de l’attrait du texte, bien punchy. Très bonne lecture là encore.
Il fut un temps où la terre d’Orïsha était baignée de magie. Mais une nuit, tout a basculé, le roi l’a faite disparaître et a asservi le peuple des majis. Zélie Adebola n’était alors qu’une enfant. Aujourd’hui, elle a le moyen de ramener la magie et rendre la liberté à son peuple ; même si face à elle se dresse le prince héritier du trône, prêt à tout pour la traquer.
Et c’est bien ?
Un de ces livres que je prenais au pif faute d’inspiration dans une grande enseigne d’achats d’ouvrages trimestriel. Un contexte de fantasy atypique, une énième tentative de faire un pas en direction du young adult, genre avec lequel j’ai du mal pour plein de raisons. Et c’est parti pour une aventure en Orishä, contrée imaginée, calquée sur les cultures et mythes africains que l’autrice y a insufflés. Toni Adeyemi s’est inspirée de la culture yoruba, dont ses parents sont issus.
Vous l’aurez compris, le contexte est dépaysant et change de la fantasy occidentale que l’on a l’habitude de lire, au moins par les inspirations qui ont servi à l’autrice. J’ai également beaucoup apprécié sa démarche, qu’elle détaille en fin d’ouvrage, celle d’une révolte contre l’injustice, et la volonté de proposer une Hermione Granger noire.
L’histoire débute de manière très prenante et intéressante : une héroïne, qui en a à remontrer à son entourage. Un univers intéressant, fait d’une magie enfuie et proscrite par un pouvoir tyrannique ; une magie qui tire sa force des dieux. Une magie différente pour chaque dieu, et des fidèles qui sont liés à l’un ou l’autre d’entre eux. On apprend rapidement que Zélie est affiliée à la déesse de la mort et qu’elle a vécu violemment la destruction de sa famille par le pouvoir en place. Faisant partie du pan de population maltraité par le roi et ses gardes du fait de son appartenance aux aspirants majis, Zélie se retrouve malgré elle en possession qui pourrait permettre le retour de la magie disparue.
Quelques facilités en ce début d’ouvrage, mais l’autrice tisse de manière consciencieuse son univers, et cela reste plaisant. Malgré tout, vous l’aurez compris en lisant ces quelques lignes, quelques indices peuvent laisser présager de schémas assez convenus, et ça ne manque pas, on glisse peu à peu vers une quête finalement assez banale, avec passages véritablement intéressants, dans lesquels Tomi Adeyemi développe un peu plus l’univers qu’elle imagine, et d’autres où je me suis ennuyée ferme.
Le principal reproche que j’aurais à faire à l’ouvrage concerne la construction de la narration. La multiplicité des points de vue est devenu quelques chose de banal, et c’est intéressant quand les points de vue sont choisis judicieusement. Ici, l’autrice commence par en développer deux, celui de Zélie et celui d’Amari, la fille du roi tyran? C’est intéressant car elles vivent dans des mondes opposés et nous donne à voir deux facettes. En cours de route, le point de vue d’Inan, le frère d’Amari, est rajouté. Lui aussi extérieur aux deux autres, donc donnant à voir des choses différentes. En revanche, je trouve cet aspect totalement inutile quand ces personnages finissent par se réunir durablement. Quel intérêt ? D’autant plus que la narration se fait à la première personne. Allez comprendre qui est « Je », au bout d’un moment cela devient confus, en plus de ne rien apporter.
Les deux autres éléments qui m’ont dérangée sont plus classiques et typique d’une fantasy qui ne me plaît pas : du jargon. Affubler tous les animaux de cornes et changer vaguement leur nom… mouais. On se retrouve avec des « renardiens », des « léopardaires », des « lionnaires ». On ne sera jamais ni pourquoi ni comment, ça m’a fait l’effet d’une vague tambouille pour tenter de dépayser le lecteur. Et puis on n’y coupe pas, l’histoire finit par cocher à peu près toutes les cases possibles de la quêtes fantasy-cliché : l’élue, les artefacts à réunir, les antagonistes méchants pour une raison assez obscure ou tirée par les cheveux, les histoires d’amour (j’ai cru qu’on allait y échapper… mais non), les rites et compagnie.
A partir du deuxième tiers de l’histoire, j’ai commencé à lâcher et à peiner sur le récit. Un des points positifs à noter néanmoins : la personnalité de Zélie et d’Amari. Pour une fois je n’ai pas eu l’impression d’avoir des personnages dits adultes avec des comportements d’enfant. Elles sont matures, ont des failles, et l’autrice les fait évoluer toute les deux de manière subtiles et intéressante.
En somme, une histoire en demie teinte, qui ne m’a pas spécialement parlé.
A lire si vous recherchez : – du young adult – un contexte dépaysant – de la fantasy classique
Le chevalier assassin, Pierre Cordwain de Kosigan, dirige une compagnie de mercenaires d’élite triés sur le volet. Surnommé le « Bâtard », exilé d’une puissante lignée bourguignonne et pourchassé par les siens, il met ses hommes, ses pouvoirs et son art de la manipulation au service des plus grandes maisons d’Europe.
En ce mois de novembre 1339, sa présence en Champagne, dernier fief des princesses elfiques d’Aëlenwil, en inquiète plus d’un. De tournois officiels en actions diplomatiques, de la boue des bas fonds jusqu’au lit des princesses, chacun de ses actes semble servir un but précis.
Et c’est bien ?
Un livre dont j’ai entendu plein de bien, et une couverture poche qui me parle forcément, j’ai donc sauté à pieds joints dans l’ouvrage à l’occasion du mois de la fantasy. Du très bon comme du très irritant dans ce roman, j’en suis sortie assez mitigée.
Le contexte en lui-même est vraiment chouette. Fin d’une période que j’apprécie particulièrement, le Moyen-Age, proposé par un auteur qui a un pied dans l’Histoire. C’est maîtrisé, il y a de la matière et surtout on touche à pas mal de thèmes qui me plaisent pendant cette période : l’hérédité, les liens féodaux et le bazar occasionné lorsqu’il s’agit de perdre ou de gagner des terres et de tirer les ficelles du pouvoir.
Ce texte est métissé par l’aspect fantasy, l’auteur a fait le choix de nous proposer, dans un contexte plutôt réaliste, des créatures fantastiques et de la magie, éléments qui ont une forte influence sur la politique évoquée dans l’histoire. Top là encore, c’est plutôt bien mêlé, les implications créées par la présence d’elfes et une religion qui espère éradiquer toute forme de sorcellerie et de paganisme, on a là un mélange qui a tout pour me plaire.
On rajoute aux points forts de l’histoire un arrière-fond très présent de tournoi. Autant dire que j’ai directement replongé dans le film de Richard Thorpe, Ivanhoé, qui a fortement marqué mon enfance. Et on ajoute enfin des mystères, des énigmes et une plume rythmée, l’auteur tient son lecteur en haleine. Les chapitres sont courts et s’enchaînent rapidement. Certains évoquent les échanges épistolaires du descendant de Kosigan, confronté à un héritage particulièrement intriguant. Le livre devient difficile à lâcher et particulièrement addictif.
Premier « hic » néanmoins : la cohérence narrative. A force de complots et de rebondissements alambiqués, la logique et la cohérence de l’histoire sont parfois bancals. On accordera le bénéfice du doute, en tant que lecteur, en acceptant gentiment de combler avec notre imagination, même si l’ignorance de certains personnages sur certains sujets laisse perplexe face au niveau de machination proposé. Quelques facilités également, tout réussit à Kosigan et on évite pas mal d’embûches en faisant arriver beaucoup de choses en « off ». C’est dommage. Ça reste personnel, mais j’ai trouvé que ça sentait parfois le scénario de jeu de rôle dont le maître de jeu a besoin de tordre certains éléments pour que tout colle et pour avoir absolument une aventure. Mais bon, face au côté aventure très prenant et bien mené, on joue le jeu de bon gré.
Là où en revanche, j’ai un énorme problème avec ce livre, c’est avec les personnages féminins présentés – et pour le coup d’un livre avec quelques défauts mais sympathique, je suis passée à un livre qui m’a bien fait grincer des dents. Pas une seule femme n’est évoquée de manière autre que sexuelle. Baisables avant tout, rêvant d’enlever leurs armures aux chevaliers, dépravées, décrites par leur paire de nichons ou par le fait qu’elles soient vierges… il y a là un énorme problème, et non, clairement non, vu ce qui est écrit et la manière dont ça l’est, ça n’est pas uniquement dû à une hypothétique « affreuse période moyennâgeuse » ou aux moeurs dissolues du Bâtard. Des étapes de quête, voilà ce que j’en ai retenu. Antagonistes ou alliées, elles sont là pour permettre à Kosigan d’avancer, y compris quand le comportement de certaines n’a aucune logique avec le personnage initialement présenté – d’où le fait que je ne crois à aucune excuse de personnage principal ou de contexte historique, c’est la narration elle-même qui a un problème. Cela se sent certainement, j’en veux beaucoup à l’auteur pour cet aspect, qui est venu me gâcher la lecture : dès qu’une femme était mentionnée, j’ai fini par me crisper – et à raison, à chaque fois. La petite phrase ou le paquet de mots qui fâchent arrivaient immanquablement.
Pour tout dire, je crois que je n’avais encore jamais lu de traitement de personnages féminins de cet acabit. Même dans de vieux bouquins qu’on pourrait qualifier de « SF à la papa » ou de « paternalistes », je n’avais pas été perturbée à ce point, et j’ai dans le même temps commencé à comprendre pourquoi certaines lectrices encensaient Le prieuré de l’Oranger, oeuvre qui par ailleurs ne m’a pas plus transcendée que ça.
Néanmoins, je vais les continuer, les aventures du Bâtard, ne serait-ce que parce que j’ai acheté les tomes suivants avant de rencontrer les premiers passages qui m’ont fait tomber des nues. Mais je souhaite à toute force que ce traitement ne se prolonge pas au-delà de ce premier tome, ne serait-ce que parce que c’est le genre de sujet qui peut, au final, m’obnubiler au point d’éclipser tout le reste d’une histoire, qui par ailleurs, et je l’ai souligné, possède toutes les qualités d’une saga d’aventure palpitante.
Le chasseur de primes Luther Falkenn, accompagné de son chat, Boniface Illustration de Nicolas Jamonneau
De quoi ça parle ?
Vingt ans. Vingt ans que s’éternise la guerre entre la Ligue de Skarland et l’Empire anscaride. Mais les arcano-technologues, les sorciers hérétiques à la botte de l’empereur Hagen, ont mis au point de nouvelles armes qui ne tarderont pas à écourter le conflit : les dragonnefs, vaisseaux volants capables de rayer une ville de la carte en quelques heures.
Vingt ans aussi que Luther Falkenn court après les criminels. Comme policier, d’abord, et maintenant comme chasseur de primes. Mandaté par un richissime banquier nain pour mettre la main sur des documents volés particulièrement compromettants, il se rend à Solmost, où la Ligue fait face à une pression grandissante : soutenues par les dragonnefs, les armées de l’empereur approchent de la cité. Pas de quoi faciliter la tâche de Falkenn et de son acolyte Boniface, félin aux pouvoirs mystérieux, à la langue bien pendue et au caractère de cochon.
D’autant que dans la folle course aux armements qui les oppose à l’empereur, les dirigeants de la Ligue s’apprêtent à commettre l’irréparable en libérant un pouvoir oublié. Et Falkenn, qui croyait traquer un vulgaire voleur, va devoir affronter un adversaire d’un tout autre calibre, revenu tout droit de l’au-delà.
Et c’est bien ?
Je vous en avais parlé dans ma chronique sur le recueil Crocs et alambics, une des nouvelles parmi celles qui m’avaient marquée était celle intitulée La plus belle des réussites, d’Alexandre-Fritz Karol, l’auteur du présent roman. Le titre suivant que j’ai commandé chez Crin de chimère, l’éditeur, a donc été tout naturellement Printemps de funérailles, et j’y ai retrouvé tous les ingrédients qui m’avaient plu dans la nouvelle… et plus encore.
Printemps de funérailles, c’est un univers complet, cohérent et fouillé, distillé sur 600 pages. Il fait partie des textes que j’affectionne qui ne tombent pas dans l’encyclopédisme et qui infusent au gré de l’histoire les différents éléments de cet univers. J’ai plus d’une fois été impressionnée par la minutie de l’auteur à penser certains aspects.
L’univers est politiquement très fouillé mais absolument pas ennuyeux. L’enquête de Falkenn le mène dans la ville de Solmost, capitale de Pont-Salin, pays appartenant à la Ligue, dont la population suit avec appréhension l’avancée de l’armée anscaride et de son terrible général, Tyruman Khan. Evidemment, la presse relaie les différentes exactions ennemies, et un des éléments les plus marquants de cette minutie dont je parlais plus haut restera sans doute les journaux ; je crois que je n’ai encore jamais croisé d’ouvrage de fantasy dans lequel on découvre plus d’un journal, et pour lesquels l’auteur a pris la peine d’imaginer diverses lignes éditoriales.
La proximité de la guerre crée des remous parmi les différents gouvernants, d’autant plus que le roi est moribond et que les enjeux de pouvoir sont au coeur de luttes personnelles et financières des différents ministres. Alexandre-Fritz Karol donne un panorama intéressant et passionnant de cet aspect, sans que cela fasse plaqué. Tout est systématiquement lié de manière cohérente à l’avancée de l’histoire.
La galerie de personnage proposée est des plus savoureuses et dénuée de manichéisme. Bien sûr, Luther Falkenn, chasseur de primes taiseux m’a plu par sa prestance, tout autant que Boniface, le chat qui l’accompagne, particulièrement mal embouché et qui vient souvent rajouter son piquant grain de sel, de préférence dans les situations qui s’y prêtent le moins. La relation entre ces deux lascars donne souvent des situations explosives et cocasses.
Mais à ces deux-là, ajoutons Dreng Scramasaxe, le banquier de Solmost, que l’on apprend à apprécier, le grand – au sens propre – général Wolfdagger, que son défaut d’élocution ne transforme pas en faire-valoir des autres personnages, Tyruman Kahn, le terrible général ennemi, que l’on aperçoit peu mais que l’auteur parvient à doter d’une aura impressionnante. Les femmes ne sont pas en reste – les soeurs Galate sont des personnages féminins forts et particulièrement charismatiques, et il en va de même pour l’imprécatrice Wilhelmina Morville. Qu’ils soient initialement perçus comme bons ou mauvais, aucun personnage n’est caricatural. L’auteur les habille d’une vraie présence et les développe de manière intéressante. On s’intéresse à tous et aucun ne finit au rang de marionnette vide.
L’histoire en elle-même est passionnante, forte de tous ces éléments. L’auteur nous propose une enquête particulièrement haletante. Tous les attributs de fantasy classique sont adaptés à l’histoire, et l’auteur évite les coïncidences bienheureuses, se réapproprie de manière originale certains aspects éculés du genre. Les nains, le panthéon, la magie m’ont beaucoup plu – et jusqu’au final l’auteur ne fait pas dans le consensus ; la bataille épique de conclusion n’est pas ce que l’on a l’habitude de voir, et les héros ne sont pas ceux que l’on attend.
Mais surtout, surtout, j’ai gardé le meilleur pour la fin ; ce qui fait tout le sel de ce roman, le basilic sur le tomate-mozza, la cannelle sur la tarte aux pommes ( « abrège et crache le morceau », me tancerait Boniface ), c’est le ton donné au roman. J’ai particulièrement apprécié la plume de l’auteur. Construite, riche et ambitieuse, et par ailleurs très fluide, saupoudrée… bourrée d’un humour pince-sans rire qui vient régulièrement émailler l’histoire. A plus d’un titre, j’ai éprouvé une vraie jubilation à suivre les facéties glissées ici et là, l’air de ne pas y toucher. Il en va de la narration comme du bagou impayable de Boniface (dont j’exige d’intégrer immédiatement le fanclub). Je ne résiste pas à vous proposer un petit extrait, qui rend particulièrement bien compte de cette prose qui m’a tant plu :
Boniface n’hésita pas un instant. Il savait pertinemment ce qu’il lui restait à faire. On élevait les mandragots pour leur intelligence et leur vivacité d’esprit, non pour leur fidélité à toute épreuve confinant à la stupidité crasse – sans quoi, se disait-il souvent, on aurait pris des chiens pour faire le boulot. Un brave renifleur de trous de balle à la langue pendante y aurait réfléchi à deux fois avant d’attaquer son maître, aurait tergiversé. Mais les chats étaient déjà naturellement des salauds tournant à la logique, et la part humaine des mandragots achevait d’en faire de parfaites petites ordures.
Vous l’aurez sûrement compris, en un mot comme en cent, c’est totalement conquise et à regrets que j’ai refermé cet ouvrage. Il va de soi que je colle aux basques, à l’avenir, aux prochaines publications de l’auteur (d’ailleurs j’ai, joie, encore un texte à lire, Le silentiaire, que je m’en vais grignoter avec plaisir dans les prochains jours). Lisez Alexandre-Fritz Karol. Ça vaut vraiment le coup 🙂
⭐⭐⭐⭐⭐
Note : 5 sur 5.
A lire si vous recherchez : – de la fantasy qui sort de l’inspiration médiévale – un style exigeant mais fluide – un duo de choc
«Jour inconnu. La créature rôde au gré de nos couloirs. À mesure de sa recherche de chair, elle semble gagner en intelligence. Comme si cette chasse incessante était un jeu, une source de connaissance pour elle. Je suis si fatigué ; cette fuite, cette survie dans ce centre de recherches abandonné et clos, me rend fou. Je stagne dans ma déchéance. C’était un test. Juste un test…? ».
Et c’est bien ?
Le ton est donné à travers la quatrième de couverture, qui n’est autre que le texte proposé par la maison d’édition Crin de chimère lors de l’appel à textes : des expériences et du monstre à travers ce recueil de dix nouvelles. Ce panel propose tant fantasy que science-fiction et horrifique. Premier livre pour moi chez cet éditeur, et aucun auteur ou autrice que je connaisse, totale découverte donc, chaudement recommandé par ma copinaute Yserei. Petit tour d’horizon.
Le recueil s’ouvre sur la nouvelle Moonshine, de Philippe Aurèle Leroux, où le lecteur, au côté des protagonistes, découvre un mystérieux vaisseau apparemment vide en orbite d’une planète, ainsi qu’un journal de bord qui vire de plus en plus inquiétant. L’auteur alterne les fragments du journal de bord, fragments qu’il distille pour que le lecteur ait à peine une longueur d’avance sur les personnages, et l’exploration du vaisseau. L’atmosphère fait complètement penser à Alien, les inventions, mêlées de facéties, sont sympa comme tout, la plume est efficace, prenante, très agréable, et l’auteur glisse çà et là des notes d’humour fort appréciable dans ce texte haletant. Premier essai transformé.
Sangpiternel, de Yoann Dubos proposé un texte horrifique particulièrement angoissant, dans lequel une église fanatique de la chair semble beaucoup en vouloir aux humains modifiés mécaniquement, qui osent attenter à leur chair. Je ne vous en dis pas plus. J’ai apprécié que, malgré le côté particulièrement rebutant de certains passages, l’auteur n’en fasse pas des caisses. La technologie et le monde crasseux, presque steampunk, qu’il imagine, sont passionnants à découvrir. Là encore très belle plume, que j’ai suivie avec plaisir.
Un bon pulp pour insuffler un peu de légèreté après son prédécesseur, Partie de chasse, de Fabrice Pittet m’a aussi énormément plu. Lancés à la poursuite d’un monstre gréant sur une planète hostile, Mordo et Sherlo, deux mercenaires particulièrement bourrins et décérébrés m’ont embarquée – et bien fait rire – dans leurs pérégrinations farfelues. La fin est particulièrement savoureuse.
Où est le monstre ?, de Constantin Louvain m’a un peu moins emballée. La nouvelle est bien écrite, mais je crois surtout que la barre était très haute avec les trois premiers textes, et que celui-ci m’a paru plus quelconque. Un militaire chargé de tirer des informations d’un scientifique-saboteur afin de sauver ses collègues à la merci d’un monstre. Le texte joue sur le double sens du titre. Si la balade était sympathique, elle m’a moins marquée que les autres.
La plus belle des réussites, d’Alexandre-Fritz Karol, emmène le lecteur dans un monde exsangue, marqué par une guerre contre des Abominations sorties des éprouvettes de personnes peu recommandables. L’auteur nous invite à voyager sur une mer qui se révèle davantage farcie de monstres qu’elle ne le devrait, et à partager le sort fort angoissant qui attend son équipage. Coup de coeur pour la plume, que j’ai trouvé très belle, eeeeet je soupçonne l’auteur d’avoir développé un univers dont on n’entrevoit ici qu’une partie (d’ailleurs, j’avoue que si un autre texte dans cet imaginaire était proposé, je signerais direct 😉 ). Coïncidence fort à propose, lors de ma commande sur le site éditeur, j’avais hésité entre le présent recueil et un roman, Printemps de funéraille, qui se révèle écrit par l’auteur de cette nouvelle, et qui va certainement rejoindre mes étagères sous peu.
Une très intéressante inversion de rôle et de points de vue dans le texte Cauchemar organique, de Paul Vialart. L’héroïne du texte se réveille aux mains d’une Machine qui semble vouloir attenter à son intégrité. Dès lors, il s’agit de fuir, mais cela devient compliqué avec une mémoire qui flanche. Je suis restée un peu dubitative tout le long du récit, mais il faut avouer que la fin fait tout, et est particulièrement bien pensée.
Le cantique de Schrodinger de R. Sennelier, encore une très bonne lecture avec une entreprise qui propose aux personnes mutilées de remplacer leurs membres par des prothèses interchangeables, faisant d’eux des modulaires. On y trouvera des thèmes de science-fiction assez classiques, notamment celui de la liberté mise à mal par des intérêts privés, mais l’ensemble est très bien pensé.
Caris & Cagom, de K. Sangil est plutôt original dans ce qui est imaginé, mais j’ai davantage peiné sur ce texte. Sûrement en grande partie à cause de la mise en page – la lecture en colonne a une raison bien précise et logique, néanmoins, le côté fragmentaire de la lecture qui en découle m’a sortie du texte plusieurs fois le temps de recoller les morceaux.
Une petite déception avec Ad Monstrum de Jenna Preston-Penley et Alicia Alvarez. La plume des autrices est intéressante, mais je n’ai pas apprécié ce qui est proposé dans ce texte, qui en plus m’a déroutée plusieurs fois avec des choix de vocabulaire que j’ai trouvés étranges. Un affrontement sanglant de monstres de laboratoire pour le plus grand plaisir d’une foule en délire, adepte de ce qui semble devenu un « sport », avec ses stars. J’ai trouvé le retournement de situation un peu facile et n’ai pas trouvé d’intérêt dans le texte.
Xoth, de Kaegor de Rion vient conclure l’anthologie. Texte de fantasy horrifique dont j’ai beaucoup apprécié l’univers, l’atmosphère et l’imaginaire proposés, en revanche j’ai trouvé la narration parfois un peu confuse. J’en suis ressortie mitigée, néanmoins je serais curieuse de découvrir l’univers de l’auteur à travers d’autres textes. J’ai bien apprécié la présence de l’alchimie proposée dans le texte, thème qui ne m’intéresse pas forcément et que je croise rarement, mais que j’ai trouvé plutôt bien exploité ici.
En conclusion donc, un recueil que j’ai trouvé d’excellente qualité et dont je ressors particulièrement enthousiaste. Les plumes et imaginaires proposés sont d’une grande richesse et de très bonne facture, et j’ai d’ores et déjà noté plusieurs nom que je suivrai avec plaisir.
A lire si vous recherchez : – de nouvelles plumes de qualité – de la fantasy ou science-fiction horrifique – des savants fous et des expériences inquiétantes