
accompagné de son chat, Boniface
Illustration de Nicolas Jamonneau
De quoi ça parle ?
Vingt ans.
Vingt ans que s’éternise la guerre entre la Ligue de Skarland et l’Empire anscaride. Mais les arcano-technologues, les sorciers hérétiques à la botte de l’empereur Hagen, ont mis au point de nouvelles armes qui ne tarderont pas à écourter le conflit : les dragonnefs, vaisseaux volants capables de rayer une ville de la carte en quelques heures.
Vingt ans aussi que Luther Falkenn court après les criminels. Comme policier, d’abord, et maintenant comme chasseur de primes. Mandaté par un richissime banquier nain pour mettre la main sur des documents volés particulièrement compromettants, il se rend à Solmost, où la Ligue fait face à une pression grandissante : soutenues par les dragonnefs, les armées de l’empereur approchent de la cité. Pas de quoi faciliter la tâche de Falkenn et de son acolyte Boniface, félin aux pouvoirs mystérieux, à la langue bien pendue et au caractère de cochon.
D’autant que dans la folle course aux armements qui les oppose à l’empereur, les dirigeants de la Ligue s’apprêtent à commettre l’irréparable en libérant un pouvoir oublié. Et Falkenn, qui croyait traquer un vulgaire voleur, va devoir affronter un adversaire d’un tout autre calibre, revenu tout droit de l’au-delà.

Et c’est bien ?
Je vous en avais parlé dans ma chronique sur le recueil Crocs et alambics, une des nouvelles parmi celles qui m’avaient marquée était celle intitulée La plus belle des réussites, d’Alexandre-Fritz Karol, l’auteur du présent roman. Le titre suivant que j’ai commandé chez Crin de chimère, l’éditeur, a donc été tout naturellement Printemps de funérailles, et j’y ai retrouvé tous les ingrédients qui m’avaient plu dans la nouvelle… et plus encore.
Printemps de funérailles, c’est un univers complet, cohérent et fouillé, distillé sur 600 pages. Il fait partie des textes que j’affectionne qui ne tombent pas dans l’encyclopédisme et qui infusent au gré de l’histoire les différents éléments de cet univers. J’ai plus d’une fois été impressionnée par la minutie de l’auteur à penser certains aspects.
L’univers est politiquement très fouillé mais absolument pas ennuyeux. L’enquête de Falkenn le mène dans la ville de Solmost, capitale de Pont-Salin, pays appartenant à la Ligue, dont la population suit avec appréhension l’avancée de l’armée anscaride et de son terrible général, Tyruman Khan. Evidemment, la presse relaie les différentes exactions ennemies, et un des éléments les plus marquants de cette minutie dont je parlais plus haut restera sans doute les journaux ; je crois que je n’ai encore jamais croisé d’ouvrage de fantasy dans lequel on découvre plus d’un journal, et pour lesquels l’auteur a pris la peine d’imaginer diverses lignes éditoriales.
La proximité de la guerre crée des remous parmi les différents gouvernants, d’autant plus que le roi est moribond et que les enjeux de pouvoir sont au coeur de luttes personnelles et financières des différents ministres. Alexandre-Fritz Karol donne un panorama intéressant et passionnant de cet aspect, sans que cela fasse plaqué. Tout est systématiquement lié de manière cohérente à l’avancée de l’histoire.
La galerie de personnage proposée est des plus savoureuses et dénuée de manichéisme. Bien sûr, Luther Falkenn, chasseur de primes taiseux m’a plu par sa prestance, tout autant que Boniface, le chat qui l’accompagne, particulièrement mal embouché et qui vient souvent rajouter son piquant grain de sel, de préférence dans les situations qui s’y prêtent le moins. La relation entre ces deux lascars donne souvent des situations explosives et cocasses.
Mais à ces deux-là, ajoutons Dreng Scramasaxe, le banquier de Solmost, que l’on apprend à apprécier, le grand – au sens propre – général Wolfdagger, que son défaut d’élocution ne transforme pas en faire-valoir des autres personnages, Tyruman Kahn, le terrible général ennemi, que l’on aperçoit peu mais que l’auteur parvient à doter d’une aura impressionnante. Les femmes ne sont pas en reste – les soeurs Galate sont des personnages féminins forts et particulièrement charismatiques, et il en va de même pour l’imprécatrice Wilhelmina Morville. Qu’ils soient initialement perçus comme bons ou mauvais, aucun personnage n’est caricatural. L’auteur les habille d’une vraie présence et les développe de manière intéressante. On s’intéresse à tous et aucun ne finit au rang de marionnette vide.
L’histoire en elle-même est passionnante, forte de tous ces éléments. L’auteur nous propose une enquête particulièrement haletante. Tous les attributs de fantasy classique sont adaptés à l’histoire, et l’auteur évite les coïncidences bienheureuses, se réapproprie de manière originale certains aspects éculés du genre. Les nains, le panthéon, la magie m’ont beaucoup plu – et jusqu’au final l’auteur ne fait pas dans le consensus ; la bataille épique de conclusion n’est pas ce que l’on a l’habitude de voir, et les héros ne sont pas ceux que l’on attend.
Mais surtout, surtout, j’ai gardé le meilleur pour la fin ; ce qui fait tout le sel de ce roman, le basilic sur le tomate-mozza, la cannelle sur la tarte aux pommes ( « abrège et crache le morceau », me tancerait Boniface ), c’est le ton donné au roman. J’ai particulièrement apprécié la plume de l’auteur. Construite, riche et ambitieuse, et par ailleurs très fluide, saupoudrée… bourrée d’un humour pince-sans rire qui vient régulièrement émailler l’histoire. A plus d’un titre, j’ai éprouvé une vraie jubilation à suivre les facéties glissées ici et là, l’air de ne pas y toucher. Il en va de la narration comme du bagou impayable de Boniface (dont j’exige d’intégrer immédiatement le fanclub). Je ne résiste pas à vous proposer un petit extrait, qui rend particulièrement bien compte de cette prose qui m’a tant plu :
Boniface n’hésita pas un instant. Il savait pertinemment ce qu’il lui restait à faire. On élevait les mandragots pour leur intelligence et leur vivacité d’esprit, non pour leur fidélité à toute épreuve confinant à la stupidité crasse – sans quoi, se disait-il souvent, on aurait pris des chiens pour faire le boulot. Un brave renifleur de trous de balle à la langue pendante y aurait réfléchi à deux fois avant d’attaquer son maître, aurait tergiversé. Mais les chats étaient déjà naturellement des salauds tournant à la logique, et la part humaine des mandragots achevait d’en faire de parfaites petites ordures.
Vous l’aurez sûrement compris, en un mot comme en cent, c’est totalement conquise et à regrets que j’ai refermé cet ouvrage. Il va de soi que je colle aux basques, à l’avenir, aux prochaines publications de l’auteur (d’ailleurs j’ai, joie, encore un texte à lire, Le silentiaire, que je m’en vais grignoter avec plaisir dans les prochains jours). Lisez Alexandre-Fritz Karol. Ça vaut vraiment le coup 🙂
A lire si vous recherchez :
– de la fantasy qui sort de l’inspiration médiévale
– un style exigeant mais fluide
– un duo de choc
Je ne connaissais pas du tout !
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Gros coup de coeur, si tu es prise d’une envie de fantasy, je recommande très chaudement 🙂
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Ta chronique m’a conquise ! il me le faut de toute urgence !!
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Yeah ! Bonne lecture :3
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