
De quoi ça parle ?
Son époux est mort. Ou disons qu’en tout cas, il n’est plus en vie… Pour Mari, le temps du deuil est venu. Un double deuil… Armée d’un livre, Les Vues du mont Fuji, par Hokusai, elle se met dans les traces du célèbre peintre japonais afin de retrouver vingt-quatre des emplacements depuis lesquels l’artiste a représenté le volcan emblématique — autant de tableaux reproduits dans l’ouvrage. Un pèlerinage immersif, contemplatif, au cœur des ressorts symboliques de cette culture si particulière, un retour sur soi et son passé. Car il lui faut comprendre… et se préparer. Comprendre comment tout cela est arrivé. Se préparer à l’ultime confrontation. Car si son époux n’est plus en vie, il n’en est pourtant pas moins présent… Là. Quelque part. Dans un ailleurs digital. Omnipotent. Infrangible. Divin, pour ainsi dire…

Et c’est bien ?
Sans ambage, il s’agit à mes yeux d’un texte qui vient se hisser parmi les meilleurs de Roger Zelazny, qui réunit tout ce qui nourrit depuis maintenant deux décennies mon amour pour cet auteur.
Comme Zelazny aime à le faire, le lecteur est propulsé in medias res. Cet auteur est pour moi l’antidote à une SFFF – et je fais particulièrement ce reproche à la fantasy – explicative à outrance. Pour le lire, il faut accepter d’être perdu, accepter de ne pas tout comprendre, accepter que beaucoup de choses nous échappent. Devant le déluge de textes qui se perdent en descriptions détaillées sur absolument tout en te demandant d’être patient, parce que bon faut pas chercher de l’action partout, Zelazny me fait toujours un bien fou en proposant des récits courts, mais d’une extrême richesse.
Dans 24 vues du Mont Fuji par Hokusai, Roger Zelazny propose une balade contemplative dans les estampes du vieux fou de dessin, sauce cyberpunk. Comme on s’en rend compte très vite, garder à côté de soi les estampes d’Hokusai pour pouvoir en profiter au fil des chapitres qui portent leur nom ajoute une dimension supplémentaire à la lecture. La plume de l’auteur m’a paru plus poétique que jamais et la lecture m’a apporté une grande félicité tout au long du voyage de Mari. Cet ouvrage m’a fait d’autant plus de bien lorsque l’on se rend compte que ce contemplatif est le contrepoint de notre univers ; tout numérique, tout électronique, toujours plus rapide, toujours plus consommateur. L’opposition de l’oeuvre d’Hokusai au monde que fuit Mari n’en est que plus frappant et pertinent.
Comme souvent, Zelazny glisse dans son texte nombre de références. Je pense que c’est un de ses écrits les moins faciles d’accès, car c’est une des rares fois où j’ai trouvé que ne pas avoir ces références pouvait handicaper la lecture et la faire perdre en saveur. Ici on prend toute la mesure de son érudition sur le Japon (mais pas que) à travers l’art, la philosophie, la littérature. Et comme il l’a fait quand j’avais dix ans, et pratiquement tout au long des années où je l’ai lu depuis, Zelazny est un de ces auteurs qui me pousse à la découverte et qui m’a accompagnée culturellement sur bien des oeuvres qui aujourd’hui construisent mon bagage de connaissances. Si j’en connaissais certaines des estampes, jamais je n’avais pris la peine de découvrir la série du Mont Fuji d’Hokusai. D’autres de ses références que je connais de loin sont d’ores et déjà notées pour découvertes ultérieure.
Le point du récit où tout s’éclaire, où tout se relie est passionnant. La fin est bien digne de l’auteur, qui ne s’appesantit pas en explications. Un texte qui a toute sa place parmi les pépites que j’ai lues dans la collection UHL.
Infos livre
Editeur : Le Belial
Année d’édition : 2017