Publié dans Fantasy

Quand la tigresse descendit de la montagne – Nghi Vo

De quoi ça parle ?

Des tigresses métamorphes amatrices de poésie, des mammouths de guerre aussi impressionnants que placides, une jeune lettrée tiraillée entre son coeur et sa raison, fantômes, goules et esprits-renards à l’affût, aventures baroques et amours libres…

Et c’est bien ?

Après avoir passé un excellent moment avec L’impératrice du Sel et de la Fortune, je n’ai pas tardé à plonger dans les tome suivant, empressée de découvrir la suite des aventures de Chih et de Presque-Brillante. Si j’ai beaucoup apprécié cet opus, je dois cependant avouer que je l’ai trouvé une chouille en-dessous du tome précédent. Malgré tout, on trouve quand même du très très bon dans cet ouvrage.

Ma première joie a sûrement été de découvrir les fameux mammouths évoqués dans le tome 1. Ils m’avaient fascinée déjà, de loin, et les découvrir là, pour de vrai, avec leurs gardiens, m’a laissée telle une petite fille avec des étoiles dans les yeux. L’intelligence que l’autrice leur prête, ainsi que leur lien avec leur gardien en fait un élément de l’univers des Collines Chantantes qui me passionne particulièrement.

Retrouver également ces animaux-esprits, dont on n’est pas bien sûr des intentions – ici par l’entremise des tigres, fait aussi partie de ce qui donne un petit côté Miyazaki à l’ensemble. Ici, nos protagonistes cherchent à ne pas se faire dévorer et, ainsi qu’une Shéhérazade, Chih tente de retarder ce moment en racontant une histoire. Et c’est là que je tombe une nouvelle fois amoureuse de la façon dont Nghi Vo construit ses histoires.

Dans le tome 1, j’avais trouvé très intéressante la construction d’une histoire autour de celle des objets, la façon dont l’autrice rendait quasiment hommage autant à ceux qui les avait fabriqués qu’à l’histoire qu’ils convoyaient. Dans ce tome 2, le lecteur est ici confronté à une histoire dont la version fait débat. Chih, porteur de la mémoire des hommes, possède une version ; les tigresses, porteuses d’une autre version, celle d’un univers dont l’humain est déconnecté, en proposent une autre. J’ai trouvé le procédé assez brillant et très intéressant dans ce que l’autrice traduit de la mémoire qui fait Histoire, de ce qui est transmis. Mais c’est aussi je crois l’ambition de ce procédé qui m’a un peu moins emballée. La mise en scène est parfois un peu lourde et j’ai parfois trouvé l’opposition Homme/Nature dans la version des faits un peu gentille et facile. L’histoire rapportée m’a plu, mais m’a paru manquer de couleur et de relief.

Par ailleurs, on reste dans un univers et une configuration narrative que j’ai beaucoup apprécié, et dont il me tarde de découvrir d’autres pans – Entre les méandres, le tome 3, attend sagement dans ma pile de lecture. Une bonne lecture donc, mais à laquelle il m’a manqué une petite étincelle pour attendre le coup de coeur du tome 1.

Note : 4.5 sur 5.
Publié dans Fantasy

L’impératrice du sel et de la fortune – Nghi Vo

De quoi ça parle ?

Un mariage politique force In-yo, jeune femme de sang royal, à s’exiler au sud, dans l’empire Anh. Ses frères sont morts, ses armées et leurs mammouths de guerre vaincus de longue date restent reclus derrière leurs frontières.
Seule et humiliée, elle doit choisir ses alliés avec circonspection.
Lapin, une jeune servante vendue au palais par ses parents en réparation de l’absence de cinq paniers de pigments se prend d’amitié pour la nouvelle épouse esseulée de l’empereur et en voit son existence bouleversée.
Chih interroge la domestique au crépuscule de sa vie sur les divers objets peuplant sa maison. Leurs origines forment une histoire que les archives officielles ignorent et qui pourrait déstabiliser l’empire.

Et c’est bien ?

Une lecture un peu par hasard. Parce que l’Atalante en qui j’ai toute confiance pour dénicher de super textes, et puis aussi un peu parce que la couverture ^^ La quatrième de ouverture laissait également présager une histoire de femmes, qui m’attirait bien.

Au final ça a été un petit coup de coeur que ce texte. Chaque chapitre est initié par une description d’objet, factuelle, tenant presque de l’inventaire, et chacun donne lieu à un fragment supplémentaire de l’histoire de l’impératrice In-Yo. J’ai aimé cette place faite aux objets du quotidien, chargés de souvenirs et de l’histoire de leur propriétaire. Il y a une forme de dignité, mais aussi de sacralité dans la manière dont chacun est décrit et sollicité pour évoqué un passé enfui.

J’ai aimé, aussi, cette histoire de femmes, très simple – relativement courte, mais il n’y avait pas besoin de plus. Des femmes prisonnières de leur rang, de leur condition, de leur rôle, mais qui malgré cela trouvent des exutoires. L’impératrice In-Yo est peu présente, mais qui inspire le respect et acquiert une grande présence au travers du récit de Lapin, sa servante.

L’univers direct de Chih, qui recueille ces histoires est très peu décrit, mais les quelques bribes que l’on entrevoit semblent contenir d’alléchantes promesses et un petit goût de Miyazaki (à tout le moins dans la manière dont je me suis imaginé les choses).

Sous le couvert d’un archiviste dont le rôle est d’engranger la mémoire des humains, même secrète, même dérangeante ou interdite, la grande Histoire devient aussi une histoire de personnes et d’humanité. En bref, j’ai autant aimé l’histoire et ses thèmes que l’état d’esprit qui transparaît. Une lecture que je recommande très chaudement.

Publié dans Fantasy

Capitale du Sud, tome 3 : Les contes suspendus – Guillaume Chamanadjian

De quoi ça parle ?

Nox, ancien commis d’épicerie devenu négociateur de la maison de la Caouane, doit quitter la ville de Gemina suite à des événements terribles. Accompagné de son ami Symètre, il arrive enfin au domaine de la tour de Garde, où il veut construire un havre de paix, loin des machinations de la Cité. Des nouvelles amitiés et des rencontres inattendues lui permettront de se lancer dans cette aventure, mais l’influence de Gemina s’étend bien au-delà des enceintes de la ville, et Nox devra affronter une menace ancestrale afin de protéger son utopie.

Et c’est bien ?

C’est avec grande impatience que j’attendais de plonger dans Les contes suspendus, dernier tome de Capitale du Sud, le pendant le plus chaleureux de la Tour de Garde. A nouveau j’ai adoré retrouver Nox, et Simètre et tous les personnages que nous avons découverts à Gemina, entre quelques allers-retours vers les tomes précédents, parce que décidément, côté mémoire, je ne suis pas très fortiche :p

Ce tome porte bien son nom : au gré des découvertes et des recherches de Nox, des contes et des légendes émaillent cette histoire. J’ai parfois un peu perdu le fil en attendant de pouvoir le rattacher à des faits ou des événements immédiats. Le croisement des deux histoires, du Nord et du Sud, est réalisé avec brio. J’ai craint un côté qui aurait pu être un peu artificiel pour éviter que l’histoire de l’un n’empiète sur l’autre, mais il n’en est rien, les deux auteurs se tirent très bien d’un exercice que l’on peut supposer peu évident.

J’ai aimé la façon dont l’auteur construit son utopie, mais plusieurs éléments m’ont un peu perturbée, à commencer par le fait que, nécessairement, elle se construit sur une temporalité longue, et que par conséquent, les ellipses se multiplient et font un peu perdre le lien humain avec les personnages. Si le côté bouffe des ouvrages précédents donnait une impression carrément doudou, et même prétexte aux casse-dalle intempestifs, là pour le coup j’ai trouvé un petit côté parfois artificiel aux repas de Nox. Et puis ces couleuvres souvent utilisées comme terme générique pour serpents, surtout quand ils sont venimeux, y avait de quoi faire un peu les gros yeux.

Alors, je râle et je pointe du doigt quelques points négatifs… mais dans le fond surtout parce qu’ils font contraste avec les précédents tomes, où j’aurais été bien en peine de trouver des défauts. La narration reste de qualité, et bien sûr j’étais tenue par l’envie de connaître le fin mot de l’histoire, avec Daphné mais aussi avec d’autres mystères découverts dans le 2. Malgré la satisfaction d’avoir obtenu quelques réponses, j’ai trouvé la fin un poil rapide, surtout au vu de tous les éléments appétissants (oui elle était facile celle-là) que l’auteur avait disposés, j’ai eu un impression de résolution un peu vite expédiée. Et puis, surtout, surtout, j’espère que de réponses, il y aura dans Capitale du Nord, parce que la fin du Sud m’a laissé avec plus de questions que je n’en avais initialement.

Malgré les chaos, j’ai aimé ce dernier tome, parce que Gemina, parce que Nox, parce que la Caouane, parce que la bouffe, parce que gros hommage là encore à la littérature, à la culture, à l’art, parce que plein de choses. Le tome 2 reste certainement mon préféré, mais si je fais un pas de recul pour considérer cette trilogie, j’en ressors avec des étoiles dans les yeux, et la certitude que je replongerai un jour dans ces bouquins.

Publié dans Fantastique, Fantasy, Historique

Trilogie d’une nuit d’hiver, tome 1 : L’ours et le rossignol – Katherine Arden

De quoi ça parle ?

Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.

Et c’est bien ?

Un ouvrage dans lequel j’ai eu bien du mal à me couler, mais que je ne regrette pas de m’être acharnée à lire, il fait partie de mes meilleures lectures de l’année pour l’instant.

L’entrée dans le texte m’a été plutôt laborieuse. La mise en place prend son temps ; le lecteur est plongé dans le quotidien d’une famille de seigneur terrien de la Rus’ médiévale. On y découvre leurs liens avec le pouvoir, l’enfance de Vassilissa, la plus jeune fille, qui semble avoir hérité d’étranges pouvoirs maternels, ainsi que les différentes créatures qui peuplent leurs environs. La touche surnaturelle est particulièrement ténue et l’application avec laquelle l’autrice pose son décor m’a parue un peu longue malgré les qualités multiples de ces détails.

Katerine Arden connaît manifestement très bien l’histoire et le folklore slaves et il m’a été d’un réel plaisir de découvrir la Russie du 14e siècle, son paysage géopolitique, et surtout, ce qui va faire point de tension dans le texte, toutes les ficelles liées à la religion et à la culture païenne. C’est d’ailleurs cet élément, et la bascule qui s’opère vers le milieu du texte, qui a raccroché mon intérêt pour cette lecture. L’autrice se sert à merveille des ficelles qui opposent le christianisme au folklore, à travers l’arrivée d’un prêtre dans la famille de Vassilissa – Vassilissa qui semble capable de voir les multiples petits démons qui habitent et nourrissent son environnement.

Outre le fait que la prose de Katerine Arden se tient très bien et se lit avec plaisir, le mélange de contes et d’éléments banals qui progressivement trouvent un point d’orgue dans cette lutte spirituelle devient vite passionnant. Lutte qui opposent une religion coupée de son environnement, de la nature des hommes et des bêtes, à des croyances ancrées dans un réel que l’on ne comprend pas toujours, mais avec lequel l’homme vit en harmonie en en acceptant autant le positif que le négatif.

Le dernier tiers verse complètement dans la fantasy option contes et onirisme et relie les fils que l’autrice a tissés avec patience depuis le début, pour finir en apothéose qui m’a convaincue définitivement de plonger sous peu dans les tomes suivants. Un récit de très bonne facture, qui vaut la peine de s’accrocher pour l’apprécier.

Note : 4.5 sur 5.
Publié dans Coups de coeur, Fantasy, Historique, PLIB 2022

Du roi je serai l’assassin – Jean-Laurent del Socorro

De quoi ça parle ?

Andalousie, XVIe siècle. Alors que Charles Quint règne sur une Espagne réunifiée et catholique, Sinan et sa soeur jumelle Rufaida, musulmans convertis, sont envoyés par leur famille à Montpellier pour échapper à l’Inquisition qui sévit à Grenade. Mais les deux enfants tombent dans une France embrasée par les guerres de Religion.

Et c’est bien ?

Un livre qu’il me tardait de lire en raison de ses liens avec Royaume de vents et de colère, du même auteur ; le premier que j’ai lu de Jean-Laurent del Socorro et dont je garde un excellent souvenir. Ma lecture remonte, donc je n’ai pu faire les liens, néanmoins deux choses ressortent de ma lecture de Du roi je serai l’assassin : c’est très très bien, et une relecture de Royaume de vents et de colère se profile à l’horizon.

Jean-Laurent del Socorro vient se ranger parmi les auteurs pour lesquels je ne réfléchis plus ni ne cherche à connaître les thèmes quand ils sortent un nouvel ouvrage. Les sujets, leur traitement, le style m’y charment à chaque fois, et Du roi je serai l’assassin ne fait pas exception.

J’ai aimé les différentes atmosphères proposées par l’ouvrage, la chaleur du Sud et la maison de Sinan, l’ambiance estudiantine de Montpellier… En plus d’être très évocatrice et visuelle, la langue qu’emploie l’auteur est particulièrement belle, ciselée, et j’ai eu grand plaisir à suivre l’aventure de Sinan.

Les personnages et les thèmes mis en scène ; la religion, l’intolérance, l’Autre, les représentations, sont des thèmes que j’aime retrouver – que je sais que je retrouverai – chez Jean-Laurent del Socorro, toujours traités avec finesse et beaucoup de sensibilité. Lorsque l’histoire de Sinan prend un tournant plus sombre, j’ai apprécié à la fois la simplicité avec laquelle ces événements sont narrés, sans s’attarder sur le pathos, tout en étant d’une force poignante.

Enfin, comme à chaque fois, je suis sous le charme de cette plume capable de mettre à portée du lectorat un contexte historique, auquel je ne m’intéresse pas forcément, ou que je maîtrise mal, de manière très simple et claire, passionnante, investie humainement, de manière à ce que l’on ne soit pas perdu, et que l’on ait envie d’en découvrir davantage, même une fois tournée la dernière page. Et cette étincelle fantastique, toujours ténue, discrète, mais qui vient illuminer l’ensemble.

La réflexion sur la religion, la culture, l’acceptation de l’autre font échos à de nombreux thèmes d’actualité et sonnent de manière particulièrement juste ; cela en fait à mes yeux un livre précieux, à partager sans modération.

Note : 5 sur 5.

Infos livre :
Editeur : ActuSF
Année d’édition : 2021
#ISBN9782376863519