Publié dans Fantastique, Service de presse

Jenny-les-vrilles – Jeff Noon

De quoi ça parle ?

Bienvenue à Hoxley-sur-la-Vive, petit village hors du temps, où la vie des habitantes et habitants est rythmée chaque jour par de lourdes traditions : 357 saints y sont fêtés aléatoirement, et leurs règles scrupuleusement respectées du matin au soir. Ainsi, sainte Meade exige un vœu de silence absolu ; le lendemain, les saints Edmund et Alice obligent tout le monde à porter le masque et l’uniforme rituels…
Comment mener l’enquête dans ces conditions ? Nyquist erre sur les traces de son père, porté disparu depuis vingt ans, que personne ne semble connaître à Hoxley. Nyquist a pourtant en sa possession une poignée de photographies le représentant dans ce village.

Et c’est bien ?

Premier roman de Jeff Noon pour moi, par l’entremise du Masse Critique Babelio. J’avais, il y a quelques années, lu une de ses nouvelles dans Souriez, vous êtes gérés, mais j’avoue que je n’en garde aucun souvenir. Jenny-les-Vrilles m’a interpellée par son résumé et cette histoire de saints et de règles de vie quotidiennes. Je regrette juste un peu le « Alice au pays des merveilles sous acide » mentionné par l’éditeur en quatrième de couverture car ce n’est vraiment pas un appel du pied en ce qui me concerne.

Comme attendu, l’entrée dans l’histoire se révèle assez chelou, et les motifs qui amènent Niquist, notre détective privé, à Hoxley-sur-la-Vive, demeurent assez floues. Ce n’est pas le premier texte de l’auteur concernant ce personnage et je n’avais pas le contexte de ce dernier – cependant, en post lecture, je peux vous dire que cela ne pose aucun problème, l’auteur pose les jalons qu’il faut pour que le lecteur ponctuel des aventures de son détective ne soit pas perdu.

La découverte du village se fait en premier lieu par l’entremise d’une femme qui donne des noms aux branches des arbres, première rencontre particulière de Niquist. Par la suite, le dévoilement progressif de la vie au village est émaillé par la découverte des saints et de leurs exigences. Niquist les découvre malgré lui : évidemment pas au fait des règles pour le jour donné, celui-ci attire rapidement l’hostilité des villageois, et rencontre, de fait, de sacrés écueils pour son enquête.

Emaillé de fantastique et dressant un univers onirique et assez farfelu, c’est avec une certaine fascination que j’ai plongé dans ce village de campagne anglaise, dans lequel des meurtres ne tardent pas à survenir. L’ambiance du roman prend une allure assez gluante et addictive, et l’ensemble m’a fait penser à un mélange entre L’inspecteur Barnaby et Sleepy Hollow. Dans ce marasme, notre protagoniste ne lâche pas l’affaire, et persiste à découvrir ses racines, ce père absent dont il espère retrouver la trace.

Je conserve un léger bémol quant à la scène de résolution, que j’ai trouvée un rien floue, mais c’est surtout pour chipoter. La plongée dans cet univers un peu fou m’a beaucoup plu, ainsi que la façon dont l’auteur tisse, avec un style plutôt plaisant, une atmosphère barrée et passionnante, mâtinée d’un ton végétal qui n’a pas été pour me déplaire. Jenny-les-Vrilles propose une aventure qui d’emblée me donne envie d’aller jeter un oeil aux autres aventures de Niquist – La ville des histoires et Un homme d’ombre. Si l’aventure vous tente, n’hésitez surtout pas, dépaysement garanti !

Note : 5 sur 5.
Publié dans Anticipation, Coups de coeur, Fantastique, Policier, Science-fiction, Thriller

Feminicid – Christophe Siébert

De quoi ça parle ?

Le 20 février 2028, Timur Maximovitch Domachev, ancien journaliste, est trouvé décédé d’une balle dans la tête. Dans son enquête, il s’est intéressé à des sujets en apparence déconnectés les uns des autres : la guerre d’indépendance de la RIM (République Indépendante de Mertvecgorod) au début des années 90, l’ascension sur fond de crime organisé d’un groupe d’oligarques, le trafic d’organe, endémique dans ce pays, un cinéaste passé en quelques années de l’art officiel au scandale absolu, etc. Mais en réalité une toile de fond sinistre les relie : Le feminicid qui frappe Mertvecgorod depuis deux décennies.

Et c’est bien ?

C’est en croisant l’auteur sur Facebook que j’ai développé une curiosité pour l’univers que Christophe Siébert développe, celui de la tentaculaire ville de Mertvecgorod. De bribe en bribe, j’ai jeté mon dévolu sur Feminicid lors des Utopiales 2022. Parce que le titre me parle, mais aussi parce que les thèmes que j’ai pu évoquer avec l’auteur résonnaient assez fortement en moi. Alors, qu’en est-il de cette plongée ?

Feminicid m’a d’emblée séduite par son format, celui de faux document. C’est un exercice très intéressant, que je trouve particulièrement immersif lorsqu’il est réussi, et c’est ici le cas. Nous sommes en présence des notes d’investigations de Timur Domachev, parcellaires en raison du décès prématuré de ce dernier. Le lecteur suit la genèse de ses recherches, et avance avec lui tout au long de l’enquête. La lecture est à la fois exaltante et exigeante : Domachev part de rien et fouille ; beaucoup d’éléments s’emboîtent a posteriori. Des adresses internet traînent ici et là, ayez la curiosité d’aller les fouiller si vous lisez le livre, elles proposent de petits bonus documentaires. La découverte de Mertvecgorod, de son histoire, de son fonctionnement politique, des structures sociales qui y fourmillent ne se dessinent que peu à peu. Reconstruire tout cela, le comprendre autant que suivre l’enquête demande un effort mais est également particulièrement galvanisant.

En toile de fond, un pays que l’on découvre peu à peu ancien satellite de l’URSS, déliquescent, accompagné de son lot de chambardements politiques aux points clés de l’Histoire. L’auteur nous plonge dans l’atmosphère notamment en semant une multitude de mots russes – et c’est là sûrement le seul reproche que j’ai à faire au livre. Il s’agit d’un document fictionnellement traduit – du russe vers le français. Si je conçois que ces vocables russes donnent un côté oralisant et un certain ton au roman, en revanche sur un document traduit, j’ai plus de mal à comprendre pourquoi un traducteur les aurait laissés tels quels – sauf termes spécifiques dont la traduction aurait appauvri un concept. Indépendamment de ce petit bémol, c’est de manière totalement addictive que j’ai plongé dans les recherches de Timur, que j’ai eu bien du mal à lâcher.

L’atmosphère est particulièrement sombre ; Timur Domachev enquête sur les meurtres de plusieurs centaines de femmes considérés par les autorités comme des faits divers. Et nous voilà plongés jusqu’aux coudes et au-delà dans les soubassement de la mégapole, parmi les pauvres, les laissés pour compte, les prostituées, les trafiquants de drogue, les petites frappes, les flics corrompus, les politiques véreux et tout le maillage qui relie ce petit monde. C’est sale, souvent sordide, et en même temps l’auteur n’est jamais complaisant. C’est avant tout humain, et Christophe Siébert met particulièrement bien en avant les mécanismes qui articulent cette société. Plus qu’aux petites gens, à la lecture, on ne peut qu’en vouloir aux puissants qui organisent cette misère et en profitent plus qu’à leur tour. Certaines pages sont dures, l’hommage à Philippe Reniche m’a particulièrement retournée.

La poursuite dans l’enquête glisse peu à peu dans un thriller aux teintes horrifiques à mesure que l’on remonte le fil des différentes personnes impliquées. L’auteur s’inspire aussi bien de faits réels (les féminicides de Ciudad Juarez au Mexique) que de certains éléments de culture, je ne dis pas lesquels afin de ne pas risquer de divulgâcher la lecture. Néanmoins la principale inspiration qui explique les meurtres peut aller se rhabiller ; pour moi Siébert a sublimé, de très loin, l’oeuvre d’un auteur de fantastique bien connu, en plus d’y accoler une critique sociale sans concession… et j’en redemande !

Jusqu’à la fin – abrupte, c’est un document en cours de rédaction qui nous est transmis ! – les questions s’enchaînent et une multitude d’autres se posent. Essayer de relier tout ce que l’on a appris donne presque envie de reprendre le bouquin de zéro, fort les informations que l’on a acquises à la première lecture. J’espère, aussi, d’autres plongées dans cette enquête… pourquoi pas avec Lily, la hackeuse qui a assisté Domachev dans son enquête ? Ou même simplement avoir une idée de l’après, de ce dont notre journaliste enquêteur ne pourra plus être témoin. Une chose est sûre, les autres textes qui se passent dans Mertvecgorod vont devoir rejoindre mes étagères de toute urgence.

Roman noir aux confins du polar, de la science-fiction et du fantastique, Feminicid est une réussite que je ne peux que très, très chaudement recommander

Publié dans Fantastique, Fantasy, Historique

Trilogie d’une nuit d’hiver, tome 1 : L’ours et le rossignol – Katherine Arden

De quoi ça parle ?

Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.

Et c’est bien ?

Un ouvrage dans lequel j’ai eu bien du mal à me couler, mais que je ne regrette pas de m’être acharnée à lire, il fait partie de mes meilleures lectures de l’année pour l’instant.

L’entrée dans le texte m’a été plutôt laborieuse. La mise en place prend son temps ; le lecteur est plongé dans le quotidien d’une famille de seigneur terrien de la Rus’ médiévale. On y découvre leurs liens avec le pouvoir, l’enfance de Vassilissa, la plus jeune fille, qui semble avoir hérité d’étranges pouvoirs maternels, ainsi que les différentes créatures qui peuplent leurs environs. La touche surnaturelle est particulièrement ténue et l’application avec laquelle l’autrice pose son décor m’a parue un peu longue malgré les qualités multiples de ces détails.

Katerine Arden connaît manifestement très bien l’histoire et le folklore slaves et il m’a été d’un réel plaisir de découvrir la Russie du 14e siècle, son paysage géopolitique, et surtout, ce qui va faire point de tension dans le texte, toutes les ficelles liées à la religion et à la culture païenne. C’est d’ailleurs cet élément, et la bascule qui s’opère vers le milieu du texte, qui a raccroché mon intérêt pour cette lecture. L’autrice se sert à merveille des ficelles qui opposent le christianisme au folklore, à travers l’arrivée d’un prêtre dans la famille de Vassilissa – Vassilissa qui semble capable de voir les multiples petits démons qui habitent et nourrissent son environnement.

Outre le fait que la prose de Katerine Arden se tient très bien et se lit avec plaisir, le mélange de contes et d’éléments banals qui progressivement trouvent un point d’orgue dans cette lutte spirituelle devient vite passionnant. Lutte qui opposent une religion coupée de son environnement, de la nature des hommes et des bêtes, à des croyances ancrées dans un réel que l’on ne comprend pas toujours, mais avec lequel l’homme vit en harmonie en en acceptant autant le positif que le négatif.

Le dernier tiers verse complètement dans la fantasy option contes et onirisme et relie les fils que l’autrice a tissés avec patience depuis le début, pour finir en apothéose qui m’a convaincue définitivement de plonger sous peu dans les tomes suivants. Un récit de très bonne facture, qui vaut la peine de s’accrocher pour l’apprécier.

Note : 4.5 sur 5.
Publié dans Fantastique, Horreur

Le portrait du mal – Graham Masterton

De quoi ça parle ?

Un portrait de douze personnages au visage en décomposition… La toile est l’oeuvre d’un certain Waldegrave, ami d’Oscar Wilde et passionné d’occultisme, mais elle est sans valeur et plutôt médiocre. Alors pourquoi la mystérieuse Cordélia Gray veut-elle à tout prix s’en emparer? Quel est le secret du portrait? Qui sont les douze personnages? Vincent Pearson, l’actuel propriétaire du tableau, découvre un lien entre cette œuvre démoniaque et une série de meurtres particulièrement abominables qui secouent depuis quelques mois la Nouvelle-Angleterre…

Et c’est bien ?

Pas grande lectrice d’horreur, cet ouvrage m’intéressait surtout pour son clin d’oeil au Portrait de Dorian Gray, un de mes ouvrages fantastiques favoris. Je n’aime pas particulièrement les bouquins dont les textes suintent et te giclent des scènes sanglantes à la figure et j’ai été agréablement surprise que celui-ci ne fasse pas partie de cette catégorie. Le style de Masterton est classique, mais de bonne facture, plaisant à lire, et présente juste ce qu’il faut de flippant, sans t’en dire trop, pour que ton cerveau turbine. Ce qui arrive aux protagonistes est parfois (nan, souvent en fait ^^ ) horrible, mais on ne tombe pas dans la surenchère de détails scabreux.

L’histoire prend rapidement des traits de thriller. On a un tableau, une famille d’écorcheurs qui a l’air de chercher quelque chose de bien précis, un galeriste et un flic. Les notes de surnaturelles s’incorporent au quotidien de chacun, chaque nouvel éclairage donne envie de bondir dans le chapitre suivant avec juste ce qu’il faut d’étincelle un brin angoissante.

J’ai particulièrement apprécié l’ambiance, pas franchement gore ou glaçante, mais gluante, vaguement inquiétante, poite, le tout accompagné d’une description presque vampirique de la famille Gray. J’ai aimé que l’auteur insinue quelques questionnements, notamment sur la notion de mal et de bien ; on se rend compte que si certains personnages du côté des gentils n’avaient pas agi à certains moments, nos écorcheurs n’auraient peut-être pas agi comme ils l’ont fait.

Quelques bémols cependant, sur la fin et les explications apportées. Certaines notions et retournements de situation m’ont peu convaincue, et une des explications quant à l’histoire du tableau m’a paru un peu sortir comme un lapin du chapeau.

En somme, une lecture très agréable, qu’il m’a été difficile de lâcher, et dont j’ai apprécié le rattachement, l’air de rien, au travail de Wilde. Un très bon classique du genre, à découvrir.

Note : 4 sur 5.
Publié dans Fantastique, PLIB 2023

La cour des ombres – Marion Lecomte #PLIB2023

De quoi ça parle ?

1662 : alors que le polythéisme a été depuis longtemps renié et les dieux grecs rejetés, Louis XIV instaure un nouveau culte, celui du Soleil, liant l’astre suprême à sa royauté. Si cette célébration inédite permet au monarque de briller de mille feux, elle permet aussi à Apollon, endormi depuis des siècles, de se réveiller et de réveiller ses semblables, eux aussi plongés dans un sommeil forcé suite à l’abandon de leur peuple.
Forts de cette source d’énergie aussi bienvenue qu’inopinée, les Olympiens décident de récupérer leurs pouvoirs et leur influence. Leur vient alors une idée : infiltrer la cour française en toute discrétion afin d’alimenter les passions mythologiques et, ainsi, d’assurer leur survie.

Sous les traits de Louis XV, fameux « homme au masque de fer » tenu éloigné des mondanités pendant des années, frère du très regretté Roi-Soleil disparu soudainement, Zeus investit le château de Versailles, accompagné des siens. Mais, avides de pouvoir, aveuglés par leur retour au sommet, les dieux en oublient l’essentiel : sans l’amour des Français, ils ne sont plus rien. Tandis que le peuple gronde et que la couronne est menacée, des complots voient le jour. Du plus haut des Cieux au plus profond des Enfers, tous n’ont plus qu’un seul objectif : faire de la cour de Versailles la nouvelle scène de leur divinité retrouvée.

Et c’est bien ?

Amours et frivolités à la cour de France, les dieux grecs débarquent pour prendre la tête du pays et se faire la guerre à coup de statues ; Apollon voulait des soleils et Zeus des éclairs, rien ne va plus. Hadès décide de faire le ménage, parce que les humains commencent à râler, et de rétablir l’ordre avec Perséphone en se faisant passer pour roi et reine. Pendant ce temps, Christian, l’amant humain d’Apollon, dit « Apo », décide de se venger d’avoir été trahi en rejoignant les Lumières et tenter de provoquer une révolution.

Je n’ai pas du tout adhéré à cette histoire. Dans un premier temps je dois confesser que je trouve rarement bons les romans contemporains qui reprennent la mythologie gréco-latine. Ensuite, ici, j’ai eu beaucoup de mal avec la façon dont l’histoire est menée. La narration part un peu dans tous les sens, et de récit de complot, devient quelque chose qui ressemble à une tranche de vie version mythologie à Versailles, le tout mâtiné d’un glamour que je n’ai pas trouvé très bienvenu.

Les pans d’histoire en arrière-fond ne sont pas de grande utilité et ne servent que de décors, au final très peu d’enjeux découlent de la période choisie, ou alors sont très peu exploités. A la place on glisse de manière très bizarre vers une histoire qui n’a pas grand-chose à voir avec le début. Apollon, personnage de premier plan, cède le terrain au couple Hadès / Perséphone et l’histoire bascule dans un récit un peu bisounours sur leur relation et la manière dont ils redressent les bêtises de leurs divins confrères et consoeurs. Côté mythologie, ça défile et j’ai eu, sur le dernier tiers, une impression de catalogue : divinités majeures et mineures, avec rappel de qui est qui quasiment systématique.

Je n’adhère pas non plus à la manière dont l’histoire est racontée ; Apollon finit par être surnommé « Apo », et la narration et le style m’ont paru sans relief, ne contribuant pas franchement à mon intérêt pour l’ouvrage.

Note : 1 sur 5.

#ISBN9782492534256
#PLIB2023A
#PLIB2023