Publié dans Fantasy, PLIB 2022

Prospérine Virgule-Point et la phrase sans fin – Laure Dargelos

De quoi ça parle ?

Demi-Mot aurait pu être un village ordinaire, s’il n’était pas bâti à la limite du Texte. Jour après jour, les habitants polissent et astiquent les lettres ; ils entretiennent ces milliers de caractères qui, sans leur concours, se seraient déjà effondrés. Chez les Virgule-Point, l’aînée de la fratrie a choisi une voie bien différente : fleuriste ! Elle préfère bichonner des Trompettes à pétales plutôt que de faire prospérer l’empire des points et des virgules. Mais un événement inexplicable ne tarde pas à l’entraîner dans une spirale qui la dépasse ? Et si l’avenir du village était en jeu ? Et si tout était lié à la Phrase sans fin, cette mystérieuse phrase laissée en suspens par l’Auteur ?

Et c’est bien ?

Une lecture que j’aurais repoussée plusieurs fois, mais pour mieux y plonger. Finalement ce fut une bonne surprise. Le début m’a un peu mise sur les dents, je suis sensible à la façon dont débute un ouvrage et à celle dont les personnages sont présentés ; je trouve souvent les auteurs très scolaires sur cet exercice, et ç’a été le cas ici.

De même, la mise en place d’un univers et personnages cosy-bucoliques sauce humour anglais, ne me disais trop rien, parce que ce n’est pas ce que je recherche, parce que ça me renvoie à des lectures que j’ai moyennement appréciées, ou à des textes qui manqueraient de consistance. Je me répète sûrement, mais avec cette sélection très young adult / jeunesse, le PLIB me sort complètement de mes habitudes et je suis plutôt contente de sortir de mes habitudes (je le suis pratiquement toujours en fait, surtout quand c’est pour avoir de bonnes surprises ^^).

Une fois dépassé ces a priori et franchi le pas de la lecture, la balade a été très agréable.

Le récit prend la forme d’une enquête menée par une protagoniste enjouée. Le schéma classique de l’héroïne farfelue qui chamboule la vie d’un compagnon forcé et sorti de sa zone de confort marche plutôt bien, et l’on se retrouve avec un tandem finalement plutôt sympathique. Les personnages qui gravitent autour d’eux ont leurs particularités, plus ou moins réussies – M. Anonyme m’a fait penser à l’assassin dans Nobody Owens de Gaiman, plutôt fun, en revanche j’ai regretté que la copine de travail de Prospérine soit si effacée surtout vu son devenir. On ne peut bien sûr pas passer à côté de la fameuse Héloïse, la trompette à pétales qui accompagne notre héroïne qui, tout du long, a pris dans ma tête la forme caractéristique d’un chétiflor.

Laure Dargelos joue sa partition sur le thème du livre jusqu’au bout. Anecdotes, détails, personnages, beaucoup de références au monde du livre et des bibliothèques sont glissées, elle joue à fond sur l’inter-texte et propose un tableau très créatif. En revanche, j’ai été un peu moins fan de certains essais sur le texte ; c’est quelque chose compliqué à faire, je pense, car si ça ne fait pas fondu dans le texte et justifié, cela peut très vite agacer le lecteur. Autant j’ai trouvé le principe des Phrases En Majuscules Censées Marquer l’accent précieux des gens de la capitale amusant, en revanche les autres jeux sur la typographie (heureusement pas trop nombreux) sur le gras, le souligné ou l’italique m’ont paru très peu pertinents (c’est pour chipoter, bien que peu utiles à l’histoire à mes yeux, ils ne gênent en revanche pas du tout la lecture).

On est ici sur des histoires de livres dans les livres, de personnages qui entretiennent les textes de leur auteur et l’enquête se porte sur un effondrement des mondes, des complots et des meurtres mystérieux. Si tout ce que j’ai déroulé ci-dessus concernant l’univers plutôt remarquable, en revanche côté investigations, on est relativement loin de l’originalité. Intrigues dans l’intrigue, trahisons, pertes tragiques, retournements de situations… les ficelles et les rouages de l’histoire sont très vus dans le domaine, quoique pas désagréables puisque maîtrisés et menés à bien jusqu’au bout.

Pas un coup de coeur donc, mais néanmoins une très bonne surprise et un univers original loin d’être centré sur son propre développement, qui propose une originale et agréable mise en abîme.

Note : 4 sur 5.

Infos livre
Editions : Rivka
Année d’édition : 2021
#ISBN9782957023745

Publié dans Fantasy, Jeunesse

L’île du Crâne – Anthony Horowitz

De quoi ça parle ?

David Eliot vient d’être renvoyé du collège et cette fois ses parents ont décidé de sévir ! David se retrouve alors dans une école bien étrange, sur la sinistre île du Crâne, au large de l’Angleterre. Très vite, il soupçonne le pire, mais il est encore loin de la vérité…

Et c’est bien ?

En toute transparence, j’ai lu cet ouvrage en lien avec la fameuse polémique Harry Potter. Cela faisait des années qu’il attendait dans ma pile à lire ; une discussion avec des copains m’a finalement lancée dans la lecture.

Premier livre d’Anthony Horowitz en ce qui me concerne, et je n’ai pas été déçue du voyage. J’ai trouvé à ce texte le délicieux charme des livres d’horreur des années 90 : un pitch mystérieux et une fin « ouverte », qui ouvre des champs plutôt inquiétants. La qualité en plus (on va pas se mentir, j’aimais les Chair de Poule, mais c’était de l’écriture à la chaîne, et pour L’île du Crâne on n’est clairement pas dans cette optique).

Le ton est d’entrée donné, avec une narration assez trash axée sur l’humour noir. La famille de David n’est pas piquée des vers, et certains passages valent leur pesant de cacahouètes. Le décor est assez fun, une fois dans Groosham Grange, le lecteur navigue sur une toile de fond façon château hanté, l’ensemble mâtiné d’enquête, puisque David se pose de sérieuses questions tant sur ses professeurs que sur ses condisciples au comportement beaucoup trop sage.

Jeffrey et Jill, ses deux compagnons, sont plutôt bien campés. Ils ont clairement un petit côté cliché, mais leur développement en fait des compagnons intéressants. D’un bout à l’autre, je n’ai pas lâché l’ouvrage, et les éléments de résolution sont vraiment prenants et dans la ligne des romans à mystère.

Un roman jeunesse de très bonne facture donc, à ne pas hésiter à lire. Vous constaterez sûrement que je me suis attachée à ne pas faire de retour comparaison à Harry Potter. Je me dis que ça a dû être beaucoup fait et je pense que L’île du Crâne mérite une chronique pour lui-même. Sachez juste, si vous êtes curieux, que je trouve la polémique plutôt injustifiée, et que je reste disponible en commentaire ou part mail (cf menu de droite) si vous souhaitiez en discuter plus avant.

Note : 4.5 sur 5.
Publié dans Fantasy, PLIB 2023, Service de presse, Young Adult

Bayuk – Justine Niogret #PLIB2023

De quoi ça parle ?

« Tu as son sang. Elle a tué ma lignée, je tuerai la sienne ! »

On raconte que c’est arrivé un soir sans Lune, au village de Coq-Fondu, dans l’endroit le plus reculé du Bayou. Qu’une jeune fille a été maudite pour les crimes de sa mère, la pirate la plus redoutée des mers, qu’elle n’a jamais connue. Où qu’elle aille, les esprits iront aussi, la traquant pour nourrir leur colère et leur tristesse. On raconte encore qu’il existe un endroit abandonné, où tout commence et tout finit, et que c’est là qu’elle devra avoir le courage d’aller. Cette histoire, c’est celle de Toma. Mais c’est aussi celle de Boone et celle de Roi-Crocodile, qui l’accompagneront dans sa quête de vérité.

Et c’est bien ?

Depuis quelques temps, j’étais en recherche de fantasy « bayou ». J’ai croisé du panthéon et de la magie yoruba ici et là, mais j’avais envie de patauger et de voyager dans une ambiance moite et suintante. Evidemment, le titre Bayuk a tout de suite éveillé mon intérêt de ce côté, sans compter que, depuis la parution de Chien-du-Heaume j’avais envie de découvrir l’autrice, chose que je n’ai jamais pris le temps de faire.

Autant dire que j’ai été servie : marigot, vase et relents pas nets sont au rendez-vous. L’entrée en matière et la façon dont le prologue est construit donnent tout de suite envie d’emboîter le pas de l’autrice. Le style de Justine Niogret m’a d’emblée plu : facétieux et affûté, il nous invite à découvrir le village de Coq Fondu et de ses habitant.e.s. Les différents thèmes et péripéties sont bien amenés et on frissonne dès le début – la narration est parfaitement équilibrée entre suggestion et non-dits, qui laissent, au début, planer le doute sur la malédiction.

Le trio de personnages formé par Toma, Boone et Roi Crocodile devient très vite attachants et l’autrice les distille au gré du récit. Toma, notre héroïne, connaît tout au long des aventures un évolution intéressante et travaillée. L’autrice aborde par son biais le fait de devenir adulte, de prendre conscience de la portée de ses actes, de s’intégrer à une société dont les ressorts nous échappent. Non seulement ces thèmes sont très finement et humainement abordés, mais j’aimerais les voir beaucoup plus souvent en young adult.

Les personnages de Boone et de Roi Crocodile, qui gravitent autour de Toma, ne sont pas en reste côté sympathie. Ils trainent leur lot de non-dits, pour autant le récit ne tombe pas dans les révélations clichés de dernière minute. Chaque personnage sonne juste, y compris les antagonistes.

Après le bayou et le vaudou, viennent les pirates. On sent que l’autrice maîtrise ses sujets et qu’elle glisse ici et là des éléments réels sur la société pirate ou les cultures dont elle s’inspire. Les membres de l’équipage qui accueillent nos héros ont tous leurs particularité. J’ai apprécié que l’on s’attache au cuisinier, Marteau, dont les passages sont à la fois touchants et intéressants, autant qu’ils démontrent la qualité de plume de l’autrice – je pense au passage de la tortue et n’en dis pas plus.

La fin, elle non plus, ne déçoit pas ; les différents dénouements coulent de source sans tomber comme un cheveu sur la soupe. Une très bonne aventure donc, et de qualité ; si les thèmes vous parlent, n’hésitez pas à y plonger, le voyage vaut le détour !

Note : 4.5 sur 5.

#PLIB2023
#PLIB2023JYA
#ISBN9791032405659

Publié dans Fantastique, Fantasy, Nouvelles, Revue AOC, Science-fiction

AOC n°63

Troisième et dernière chronique AOC (jusqu’à l’arrivée du prochain numéro dans ma boîte aux lettres – oui j’avais du retard), petit tour d’horizon des textes proposés.

  • La Disparition de Paul Simon
    Pendant les vacances, Marie, son frère Paul et leur copain Alex jouent innocemment dans les bois à reproduire un rituel druidique… et Paul disparaît, enlevé par un mystérieux inconnu, sans que ses deux camarades ne comprennent comment. Des années plus tard, Marie, devenue enquêtrice, revient sur les lieux, bien décidée à comprendre.

Une nouvelle agréable à lire, sans écueil particulier. C’est peut-être pour ça que je l’ai moins appréciée que les deux autres : on se doute de ce qui va se passer, les éléments ne sont pas spécialement originaux, la trame est relativement convenue. La lecture ne m’en a pas été désagréable, mais je n’ai été particulièrement emballée par cette histoire de druide et de disparition.

  • Bien plus qu’une planète d’Antoine Vanhel
    De la branche maudite de sa famille, Isendion hérite d’Openor, minuscule planète perdue et sans valeur, inhabitable en raison de ses conditions météorologiques dantesques. Il y débarque donc pour y inventorier ce que lui ont laissés ses marginaux d’aïeux et se débarrasser rapidement de ce caillou cosmique. Il ne sait pas dans quoi il s’engage.

Il m’a sans doute manqué quelque chose pour que ce soit un coup de coeur – peut-être que j’aurais davantage eu envie d’explorer cette planète et ses possibilités. Néanmoins j’ai beaucoup apprécié l’originalité de ce texte. L’histoire d’Opénor, mystérieuse, dont on ne sait pas du tout pourquoi les aïeuls du personnage principal s’y s’ont accrochés. Puis le déroulement, énigmatique, qui peu à peu dessine une boucle et happe le lecteur dans une spirale folle. Un très bon texte.

  • Le Corps d’Albine d’Emmanuelle Nuncq
    En cette fin de 19ème siècle, Albine est adulée par le peintre Harry, dont elle est l’épouse et la muse. Sa disparition alors qu’elle est enceinte entraîne l’artiste dans une spirale obsessive, jusqu’aux confins de la folie. Mais qui sait si l’amour et l’art ne peuvent pas transcender la mort ?

Je ne m’attendais pas à apprécier autant cette nouvelle, qui est sûrement ma préférée des trois. Le schéma peut paraître convenu : l’amoureux obsédé par la mort de son aimée. Et pourtant, ce que l’autrice en fait est prenant ; le lecteur est entraîné dans la spirale de folie et d’obsession de Harry dans une ambiance qui m’a particulièrement fait penser à certains textes de Maupassant. Le dénouement est très bon, dans la plus pure tradition 19e, et pourtant pas si attendu que ça. Une plume à découvrir.

Publié dans Fantasy, Nouvelles, Revue AOC, Science-fiction

AOC n°62

Un numéro spécial concours Visions du futur, ce la promet de bons textes. Le concours est organisé par le Club Présences d’Esprits. Petit topo sur les quatre textes lauréats de la session 2021.

  • Accessit : AB+ de Morgane Guilhem
    Un tapis. Où l’on trie, nettoie, met en tube des souches ADN. Parce que les Humains ne peuvent plus se reproduire. Parce que les Autres peuvent leur fournir les souches nécessaires. Pour prix de leur accueil, puisqu’ils sont réfugiés. L’histoire officielle raconte l’Arrivée, quand ils ont cherché refuge sur une Terre où les Humains risquaient de disparaître. Coup de chance, ils sont génétiquement très proches.

Malgré le côté classique du dénouement, le développement de l’histoire est très bon. Atmosphère glaçante, sale, voir glauque, le futur ici proposé n’est pas rose, mais gris. On suit le personnage principal tout en essayant de comprendre – contrairement à lui, blasé – ce qui se passe dans cet univers qui semble avoir déraillé. Même classique, la fin marque malgré tout.

  • 3e prix : Dissémination de Sasha D. Page
    Kaheni est en symbiose avec la ronce, ce qui lui a permis de devenir une guerrière redoutable, et d’échapper au sort de très nombreuses femmes : une fleur délicate fait d’elles de dociles jouets pour les hommes. Le chef du cartel l’envoie en mission pour récupérer une graine qui fera d’une autre femme une esclave parfaite, Kaheni lui obéira-t-elle ?

Malgré des ingrédients que l’on retrouve souvent en urban fantasy (je pense notamment à la façon dont les personnages féminins sont mis en scène) et qui m’ont un instant fait craindre de passer à côté du texte, j’ai complètement accroché à cette histoire. Le principe de la symbiose est vraiment très intéressant, et la façon dont l’autrice le lie à l’image de la femme est bien trouvé. La trame de fond s’est aussi avérés davantage fantasy que je ne le pensais, avec un univers propre, que l’on entraperçoit. Impossible de lâcher le texte une fois commencé. J’ai bien envie de croiser le personnage de Kaheni dans d’autres histoires.

  • 2e prix : Shiawase Lady d’Agathe Tournois
    Shiawase est un opérateur de téléphone qui équipe ses clients de puces neurales. Pour les rassurer et montrer leur intérêt, il a créé les Shiawase Lords and Ladies, des hommes et des femmes que l’entreprise recrute pour devenir les anges gardiens de ses usagers. Chitose rêve de se voir proposer cet emploi, mais quand cela arrive, elle découvre l’envers du décor…

Deuxième texte d’Agathe Tournois que je lis par l’intermédiaire d’AOC, j’ai été vraiment emballée par celui-ci. Le principe Shiwase et le monde libéral et aliénant décrit dans ce texte est vraiment très bien pensé. L’histoire se passe au Japon, et pour qui lit des mangas, il est impossible de ne pas y penser lorsque l’autrice décrit ses personnages et certains éléments de la vie lycéenne. Comme pour la nouvelle que j’avais précédemment lue de l’autrice, j’apprécie la note positive sur laquelle finit son texte.

  • 1er prix : Camara Transfer d’Olivia Cabanaz
    Dans cette lagune du bout du monde, Peppe attend. L’enfant ne sait pas très bien pourquoi il est là, mais il aime bien cette vie comme suspendue, éclairée par la présence de Soralyn. Soralyn, elle, est prise au piège ici, comme tant des misérables qui vivent dans ce coin perdu. Peppe, déchiré entre le désir de voir son amie heureuse et la crainte de son départ, devra choisir.

Un premier prix largement mérité pour cet écrit. En plus de l’univers foisonnant que l’on entrevoit, le style de l’autrice a une vraie présence. En quelques traits, le lecteur se retrouve propulsé dans une ambiance bayou dépressive mais pas désespérée. Les concept brassés par l’autrice m’ont fait penser un instant au Livre écorné de ma vie de Lucius Shepard (le malaisant en moins). La façon dont cela vient mettre en relief tout ce qu’elle a construit autour est assez génial… sur un truc de rien, on part dans des possibilités assez folles. Chapeau.