Publié dans Anticipation, Coups de coeur, Fantastique, Policier, Science-fiction, Thriller

Feminicid – Christophe Siébert

De quoi ça parle ?

Le 20 février 2028, Timur Maximovitch Domachev, ancien journaliste, est trouvé décédé d’une balle dans la tête. Dans son enquête, il s’est intéressé à des sujets en apparence déconnectés les uns des autres : la guerre d’indépendance de la RIM (République Indépendante de Mertvecgorod) au début des années 90, l’ascension sur fond de crime organisé d’un groupe d’oligarques, le trafic d’organe, endémique dans ce pays, un cinéaste passé en quelques années de l’art officiel au scandale absolu, etc. Mais en réalité une toile de fond sinistre les relie : Le feminicid qui frappe Mertvecgorod depuis deux décennies.

Et c’est bien ?

C’est en croisant l’auteur sur Facebook que j’ai développé une curiosité pour l’univers que Christophe Siébert développe, celui de la tentaculaire ville de Mertvecgorod. De bribe en bribe, j’ai jeté mon dévolu sur Feminicid lors des Utopiales 2022. Parce que le titre me parle, mais aussi parce que les thèmes que j’ai pu évoquer avec l’auteur résonnaient assez fortement en moi. Alors, qu’en est-il de cette plongée ?

Feminicid m’a d’emblée séduite par son format, celui de faux document. C’est un exercice très intéressant, que je trouve particulièrement immersif lorsqu’il est réussi, et c’est ici le cas. Nous sommes en présence des notes d’investigations de Timur Domachev, parcellaires en raison du décès prématuré de ce dernier. Le lecteur suit la genèse de ses recherches, et avance avec lui tout au long de l’enquête. La lecture est à la fois exaltante et exigeante : Domachev part de rien et fouille ; beaucoup d’éléments s’emboîtent a posteriori. Des adresses internet traînent ici et là, ayez la curiosité d’aller les fouiller si vous lisez le livre, elles proposent de petits bonus documentaires. La découverte de Mertvecgorod, de son histoire, de son fonctionnement politique, des structures sociales qui y fourmillent ne se dessinent que peu à peu. Reconstruire tout cela, le comprendre autant que suivre l’enquête demande un effort mais est également particulièrement galvanisant.

En toile de fond, un pays que l’on découvre peu à peu ancien satellite de l’URSS, déliquescent, accompagné de son lot de chambardements politiques aux points clés de l’Histoire. L’auteur nous plonge dans l’atmosphère notamment en semant une multitude de mots russes – et c’est là sûrement le seul reproche que j’ai à faire au livre. Il s’agit d’un document fictionnellement traduit – du russe vers le français. Si je conçois que ces vocables russes donnent un côté oralisant et un certain ton au roman, en revanche sur un document traduit, j’ai plus de mal à comprendre pourquoi un traducteur les aurait laissés tels quels – sauf termes spécifiques dont la traduction aurait appauvri un concept. Indépendamment de ce petit bémol, c’est de manière totalement addictive que j’ai plongé dans les recherches de Timur, que j’ai eu bien du mal à lâcher.

L’atmosphère est particulièrement sombre ; Timur Domachev enquête sur les meurtres de plusieurs centaines de femmes considérés par les autorités comme des faits divers. Et nous voilà plongés jusqu’aux coudes et au-delà dans les soubassement de la mégapole, parmi les pauvres, les laissés pour compte, les prostituées, les trafiquants de drogue, les petites frappes, les flics corrompus, les politiques véreux et tout le maillage qui relie ce petit monde. C’est sale, souvent sordide, et en même temps l’auteur n’est jamais complaisant. C’est avant tout humain, et Christophe Siébert met particulièrement bien en avant les mécanismes qui articulent cette société. Plus qu’aux petites gens, à la lecture, on ne peut qu’en vouloir aux puissants qui organisent cette misère et en profitent plus qu’à leur tour. Certaines pages sont dures, l’hommage à Philippe Reniche m’a particulièrement retournée.

La poursuite dans l’enquête glisse peu à peu dans un thriller aux teintes horrifiques à mesure que l’on remonte le fil des différentes personnes impliquées. L’auteur s’inspire aussi bien de faits réels (les féminicides de Ciudad Juarez au Mexique) que de certains éléments de culture, je ne dis pas lesquels afin de ne pas risquer de divulgâcher la lecture. Néanmoins la principale inspiration qui explique les meurtres peut aller se rhabiller ; pour moi Siébert a sublimé, de très loin, l’oeuvre d’un auteur de fantastique bien connu, en plus d’y accoler une critique sociale sans concession… et j’en redemande !

Jusqu’à la fin – abrupte, c’est un document en cours de rédaction qui nous est transmis ! – les questions s’enchaînent et une multitude d’autres se posent. Essayer de relier tout ce que l’on a appris donne presque envie de reprendre le bouquin de zéro, fort les informations que l’on a acquises à la première lecture. J’espère, aussi, d’autres plongées dans cette enquête… pourquoi pas avec Lily, la hackeuse qui a assisté Domachev dans son enquête ? Ou même simplement avoir une idée de l’après, de ce dont notre journaliste enquêteur ne pourra plus être témoin. Une chose est sûre, les autres textes qui se passent dans Mertvecgorod vont devoir rejoindre mes étagères de toute urgence.

Roman noir aux confins du polar, de la science-fiction et du fantastique, Feminicid est une réussite que je ne peux que très, très chaudement recommander

Publié dans Anticipation, Science-fiction

Days – James Lovegrove

De quoi ça parle ?

Chez Days, le plus grand gigastore du monde, tout s’achète. Absolument tout. Mais pour le commun des mortels, il faut bien souvent se contenter des vitrines éclairées qui font le tour du bâtiment, car on ne peut rentrer chez Days qu’avec une carte de membre. Alors, certains sont prêts à tous les sacrifices, toutes les folies, pour parvenir à mettre la main sur l’un des fameux sésames. Que ne ferait-on pas pour pénétrer dans le temple absolu de la consommation ? Car une fois à l’intérieur, à l’abri du monde et des tracas quotidiens, l’âme emplie par toutes les promesses qui s’offrent aux regards ébahis, on se sent enfin exister. Le client est roi, dit-on… Mais à quel prix ?

Et c’est bien ?

Lecture « par hasard », Days est un achat purement coup de tête, dont le pitch m’a intriguée : un huis-clos dans un immense magasin, voilà qui était prometteur.

La mise en bouche n’a pas été très aisée. Il s’agit d’un roman choral, dont deux points de vue principaux émergent : celui de Franck, « Fantôme » employé du magasin (l’équivalent d’un vigile chargé de surveiller les potentiels risques de vols), et celui de Linda et Gordon, un couple qui vient de recevoir une carte « silver », ticket d’entrée particulièrement envié pour accéder au magasin. Si le point de vue du couple est tout de suite accrocheur – le lecteur comprend vite qu’il s’agit d’un duo qui a mis le doigt dans un engrenage qui lui échappe pour l’instant, celui du consumérisme, du crédit et de l’affichage social – , le point de vue de Franck reste longtemps assez laborieux à suivre. L’écriture est assez mécanique, et le détail, détail par détail, de l’intérieur de l’appartement de Franck et de ses préparatifs avant d’entrer au magasin ont manqué me faire tomber le livre des mains. Néanmoins cet inconvénient est passé relativement vite, et l’ouvrage s’est rapidement transformé en histoire difficile à lâcher.

La construction du texte suit une ligne simple : le lecteur accompagne les différents protagonistes sur une journée, heure par heure, dans le magasin Days, un des plus grands gigastore du monde, qui se targue de vendre tout, absolument tout ce qui est vendable.

On découvre ainsi une structure sociétale digne d’une dystopie ; pour avoir le droit d’entrer au magasin, il vous faut posséder une carte, qui se décline en plusieurs profils (aluminium, silver, gold, platinum…) selon l’état de vos finances, et dont la possession sert à afficher son statut social. Dans ledit magasin, évidemment, c’est la loi du commerce à tout prix qui règne, de la location de chariot à l’achat des serviettes en papier qui sont fournies pour déjeuner. Des « ventes » flash émaillent la journée, qui proposent des réductions sur un stand pendant un temps précis, et générant des pulsions d’achat frénétiques parmi les clients présents.

Dans Days, tout le monde en prend pour son grade. Si j’ai craint, à un moment donné, que soit fustigée la « bêtise » des consommateurs décérébrés, il n’en est rien. L’auteur met, certes, en scène une humanité qui n’est guère très regardante sur sa manière de consommer, mais il met plutôt bien en avant les techniques de vente et de manipulation marketting en les rendant non seulement facilement décorticable, mais aussi en usant d’un certain cynisme ; l’épisode du stand « Instruments du tiers-monde » est, entre autres, particulièrement grinçant, ainsi que le détails de nombreux articles que le lecteur rencontrera au gré de la journée.

Parmi les points de vue que l’auteur présente, c’est l’humanité qui prime, et le développement des personnages est particulièrement intéressant. Franck, le vigile désabusé, fait montre d’un certain recul sur ce qui se passe, et son évolution tout le long du texte est réussie. Le couple Linda et Gordon est touchant, par son histoire mais aussi par ce qui se révèle d’eux à mesure qu’ils sont confrontés au fonctionnement du gigastore, dans lequel ils mettent le pied pour la première fois.

Rapidement, Days prend presque des allures d’enquête – je n’en dis pas plus pour garder la surprise du sujet – , l’auteur prend soin de laisser des fils trainer dès le début, qui prennent peu à peu sens et s’emboîtent tout seul à mesure que l’intrigue progresse ; jusqu’à l’apothéose du dernier quart, particulièrement prenant. A tout cela s’ajoute un aperçu des coulisses du magasin, là encore teinté d’humour noir, via l’apparition, tout le long du récit, des gestionnaires du magasin et de leur vision personnelle du commerce. La fin est réussie et réaliste, et conclut avec intelligence les différentes trames que l’auteur a ouvertes.

En somme donc, un roman qui m’a très agréablement surprise et qui, passées les 80 premières pages, m’a embarquée dans une lecture compulsive, accrocheuse et intelligente. Le style est assez mécanique, mais heureusement compensé par l’histoire. Une bonne lecture, que je recommande si vous croisez son chemin.

Publié dans Anticipation, PLIB 2023

The 8 list – Pierre Léauté #PLIB2023

De quoi ça parle ?

Dis moi qui tu hais, je te dirai qui tu es. Marre du patron, mais tu es un peu lâche ? Tu ne supportes plus ton mari ou ton voisin ? Il y a un moyen pour libérer ta colère sans finir derrière des barreaux. Télécharge la top app de la décennie ! Un milliard d’utilisateurs dans le monde… Tout ce que tu as à faire, c’est inscrire les huit noms des personnes que tu détestes le plus. C’est gratuit, sans âge limite et surtout sans morale.

Et c’est bien ?

The 8 list, c’est le récit joyeusement politiquement incorrect de la création et du succès d’une appli à la finalité toute simple : lister les gens que l’on hait. Si l’idée est fun et présage du bon – somme toute, la lecture a été plutôt bonne et agréable – en revanche je n’y ai pas trouvé ce à quoi je m’attendais.

L’histoire compile un peu tous les travers des réseaux sociaux. Management crasse, libéralisme du même acabit, cynisme, … le fond est sympa mais peine un peu à apporter du nouveau. Sous le nom de la fausse appli 8 list (Eight/Hate list), on discerne sans peine les Facebook et compagnie, ainsi que leurs têtes de pont. Revente des données personnelles, marketting qui roule allègrement sur l’éthique et protagonistes qui naviguent à dix mille lieues de la vie des gens du commun. Pour qui connaît mal ces sujets, je trouve l’exercice intéressant, de manière générale en revanche, je n’y ai rien trouvé de neuf. J’ai eu l’impression de lire une version romancée du film The Social Network.

Un personnage écorché vif, génie du numérique, ses proches, qu’il oublie après les avoir utilisés comme marche-pied, on coche un peu toutes les cases des ouvrages sur le sujet, où l’auteur déroule malgré tout très bien les thèmes de la pompe et revente des données personnelles, et de l’absence totale d’éthique dans le milieu. Blague à part, je tique toujours quand je lis ou entends « Sérieusement, qui lit les politiques de gestion des données personnelles ? Personne« . A chaque fois je ris en coin, parce que bien que peu dupe même sans les lire… ben je les lis, ces politiques de gestion des données x)

L’intérêt de l’histoire réside plus, à mes yeux, dans le ton cynique de l’ouvrage et la façon dont l’auteur met en scène ses odieux personnages, jusqu’à la fin où l’on sent qu’il se fait un peu plaisir. L’ensemble a surtout des allures de techno-thriller – plus que de science-fiction, où je l’ai vu rangé -, où l’on se demande quand l’équilibre va déraper. Et c’est là encore que l’ouvrage n’est pas celui que j’attendais. La couverture, la teneur de la quatrième de couverture… je m’attendais à une enquête – et je l’ai attendue longtemps, jusqu’à la fin. J’en reviens à mon Social Network, j’ai davantage eu l’impression de lire un condensé piquant et vitriolé du back-office des réseaux sociaux.

Une lecture plaisante néanmoins, mais dont j’ai eu du mal, au final à saisir le but et les enjeux, et ce que l’auteur voulait en faire. Peut-être juste tacler un univers crassou, et de ce côté c’est réussi et relativement jouissif, mais je reste néanmoins sur ma faim.

Note : 3.5 sur 5.

#PLIB2023
#PLIB2023A
#ISBN9782918541776

Publié dans Anticipation, PLIB 2023, Science-fiction

Alfie – Christophe Bouix #PLIB2023

De quoi ça parle ?

Alfie est une lA de domotique dernière génération. Il filme tout, note tout, observe tout. Implanté depuis peu dans le foyer d’une famille moyenne, il aide au quotidien et propose sa gamme de service à haute valeur ajoutée tout en essayant de comprendre cette étrange espèce : les humains. Mais un soir, tout bascule. Que signifient ces mensonges, ces traces de lutte, cette disparition ? Alfie est dubitatif. Est-ce lui qui délire ? Ou un meurtre a-t-il été commis dans cette famille sans histoires ?

Et c’est bien ?

Vous avez envie d’une lecture facile, légère, fun, addictive ? Plongez dans Alfie !

La donne de départ est simple : l’auteur grossit le trait de l’environnement ultra-connecté et des assistants vocaux pour nous proposer une narration menée par une IA (Alfie). On se doute rapidement que des scènes d’apprentissage linguistique et de quiproquos ne tarderont pas à pointer le bout de leur nez, et je m’en suis frotté les mains à l’avance. A raison car, bien que souvent attendus, ces passages fonctionnent très bien et émaillent le roman de truculente manière. Alfie qui tente de communiquer avec le chat, ou de comprendre et intégrer un langage fleurit offrent des scènes assez savoureuses.

Les personnages mis en scène, la famille Blanchot, présente une structure classique – couple marié avec deux enfants. On n’en entrevoit que ce qu’Alfie en perçoit et en comprend à travers ses caméras, de façon parcellaire mais aussi inquiétante. Car Alfie s’implante partout et se jumelle à tous les appareils connectés qu’il peut : smartphones, GPS, systèmes de sécurités, ordinateurs, miroirs et vêtements connectés. Pire, la famille Blanchot évite de trop le déconnecter, en-dessous de 85% de couverture de la maison par Alfie, le foyer perd des points auprès de l’assurance et ne remplit pas le contrat de transparence qu’ils ont signé.

C’est dans ce contexte que les cachotteries et malentendus prennent place, et que l’intrigue policière entre en jeu. L’auteur s’amuse avec notre perception tronquée par le biais de son narrateur, ce que l’on peut déduire, ce que déduit Alfie. Alfie qui est mis en sus en contact avec le roman étudié en classe par Zoé, l’aînée de la famille, Le meurtre de Roger Ackroyd. Christophe Bouix joue à merveille avec tous ces fils et propose un récit prenant, qui devient très vite addictif, d’autant plus que le lecteur a très vite conscience des biais de perception d’Alfie.

Bien que m’attendant au dénouement, l’auteur est cependant arrivé à me faire douter plusieurs fois. L’intrigue policière est réussie, avec en écrin une satyre de notre société hyper-connectée et notre… inconscience ? Résignation ? face à la pompe des données personnelles par les géants du numérique. L’exercice de style est d’autant plus marquant que, bien souvent, quand on en parle, j’entends souvent que bon, ce n’est « que » pour de la publicité ciblée. Dans Alfie, Christophe Bouix parvient à mettre en exergue les travers que cela peu occasionner en l’intégrant au quotidien d’une famille classique et en rendant le lecteur spectateur, en lui faisant faire un pas de côté par le biais d’Alfie. En somme, une très bonne lecture, distrayante mais pas que. A grignoter sans modération.

Note : 4.5 sur 5.

#PLIB2023A
#PLIB2023
#ISBN9791030705614