
De quoi ça parle ?
A travers une histoire chorale, Le chant des fenjicks narre l’histoire d’une révolte ; celle d’êtres-vivants utilisés comme transports et dont l’espèce s’éteint peu à peu. Le récit s’ouvre sur le point de vue de deux protagonistes. Waü Nak Du, un chalek, espèce d’origine reptilienne et dont le peuple a conquis de nombreux recoins de l’espace. Ils se caractérisent par un dégoût de la violence, une grande bienveillance et une ouverture aux autres. Waü Nak Du, spécialiste en cybernétique et en implantation d’IA sur les fenjicks – ainsi transformés en « cybersquales », dont le projet principal tombe à l’eau. Waü doit alors trouver quelque chose de crédible pour montrer son utilité à ses supérieurs, sans quoi il risque de devoir rembourser une dette de citoyenneté plus lourde que prévue. Le second point de vue principal est celui de Smine Furr, un félidé sans histoire de la planète Imbtu, dont le peuple accepte mal la pression douce mais inexorable du peuple chalek. Smine rencontre des difficultés avec les représentantes de son peuple, dont les injonctions de reproduction lui pèsent de plus en plus. Ces deux protagonistes vont se retrouver bon gré malgré à prendre part à une entreprise qui les dépasse.

Et c’est bien ?
L’univers du Chant des fenjicks prend place dans le même que La débusqueuse de mondes. J’avais beaucoup apprécié cette précédente lecture et c’est avec plaisir que j’ai plongé dans ce nouveau roman de l’autrice.
Alors que dire ? En premier lieu, j’ai eu de grosses difficultés à entrer dans l’histoire. En cause, plusieurs éléments qui se réunissent et forment un obstacle à surmonter avant de se concentrer sur l’histoire : des noms propres – prénoms ou toponymes -, à consonance étrangère et formés de plusieurs mots très courts, des noms communs inventés propres aux cultures que l’on croise, et une narration à l’inclusif, non pas avec des points médians mais avec des déterminants transposés dans un neutre inventé (« man » pour « mon », « li » pour « lui, la, le », « quelqu’unae » pour « quelqu’un / quelqu’une »…) – inclusif par ailleurs totalement logique et justifié par des personnages non-sexués. L’ensemble a formé un amalgame où j’ai eu énormément de mal à faire la part entre les mots inventés, les mots appartenant à la grammaire, en plus de la gymnastique de retenir qui était qui. Une entrée dans le récit qui m’a donc été fastidieuse. Néanmoins, une bonne nuit de sommeil le temps de remettre de l’ordre dans tout ça et le lendemain j’y ai replongé sans problème.
Une fois cet obstacle franchi, Le chant des fenjicks offre une histoire prenante, dans laquelle on découvre le quotidien de Waü et Smine, sur fond politique perturbé. Les deux peuples ne s’entendent pas très bien, et les questions de reproduction posent de graves problèmes. Les félidés deviennent stériles en raison d’outils connectés imposés par les chaleks, occasionnant une vive opposition de la part du matriarcat félin. De leur côté, les chaleks exigent de leurs congénères une contribution à leur politique nataliste et impose des conditions de reproduction contraignantes. L’ensemble prend une tournure de thriller particulièrement prenante. On découvre les craintes des deux protagonistes, et leurs soucis. L’autrice n’en fait pas pour autant des antagonistes, que ce soient les peuples ou ces deux personnages et développe une palette intéressante de personnages et personnalités.
La surprise survient lorsqu’un troisième paramètre entre en scène : les fenjicks, loin d’être des animaux trépanés dotés d’IA, vont se trouver en position de retrouver leur libre arbitre et d’exiger la libération de leurs congénères. Si la tournure que prend l’histoire m’a plu par bien des aspects, j’ai eu un peu de mal avec la narration. Là où j’étais bien installée pépère avec man Waü et mon Smine, que j’avais eu du mal à apprivoiser, et dont j’attendais avec impatience de découvrir le devenir, la narration commence à s’éparpiller entre les protagonistes fenjicks qui retrouvent leur liberté, et les personnages qui leur viennent en aide. Plus de contexte posé que l’on suit de manière un peu fouillée, mais des sauts de narrateur en narrateur, de lieux en lieux, et dans des temporalités diverses. Si l’introduction d’un ou deux autres narrateurs ne me perturbe d’habitude pas, là j’ai eu le sentiment qu’il y en avait trop, en sus de l’accumulation de nouveaux prénoms, donnant à l’ensemble un côté trop furtif et trop rapide pour que j’intègre pleinement les contextes. Je me suis également perdue dans le déroulé chronologique des événements. L’autrice spécifie bien combien de temps s’écoule, mais les ellipses ont occasionné une frustration dans ma lecture, accroissant mon sentiment de narration trop rapide. Je regrette surtout que les histoires de Smine et Waü aient été laissées de côté et abordées plus succinctement par la suite.
Malgré ces quelques bémols, le voyage m’a tout de même été sympathique, et j’y ai croisé nombre de thèmes que l’on retrouve souvent dans les écrits de Luce Basseterre – que j’apprécie beaucoup pour ça : la liberté, la libre disposition du corps, le respect des individus dans toutes leurs différences. Retrouver les plate-formes spatiales cosmopolites où se croisent divers êtres de toutes formes, tous peuples et toutes langues a été très plaisant et m’a, par plusieurs côtés, rappelé ma lecture de la trilogie Voyageur de Becky Chambers. Une science-fiction sensible et sociale comme j’apprécie de plus en plus d’en découvrir.
A lire si vous souhaitez :
– retrouver l’univers de La débusqueuse de monde
– lire une science-fiction positive