
De quoi ça parle ?
VIIIe siècle de l’Hégire, Kemal bin Taïmour, pêcheur de perles de Bahreïn, a reçu d’Allah, le Miséricordieux, le don de voyance – en plus d’un sixième doigt. L’émir local le fait enlever et l’intègre à sa cour peuplée d’autres infirmes voyants. À leur contact, les visions du pêcheur s’intensifient et c’est un avenir très lointain qu’il pressent. Mais que valent des augures qui annoncent la future richesse pétrolière des pays du Golfe ou l’Europe frappée par la peste ? Autant d’événements incompréhensibles pour ses contemporains. Alors, l’émir revend Kemal à un marchand, qui le revend à son tour. Ainsi commence le long voyage autour de la Méditerranée d’un modeste pêcheur de perles qui voyait si loin qu’il en est devenu prophète. Mais nul ne l’est en son pays, n’est-ce pas ? Las, le pêcheur plantait ici ou là des graines dues à ses visions. Et peut-être ? Peut-être… que celles-ci germeraient au fil des siècles pour éviter le pire aux hommes qui sauront écouter les légendes ?

Et c’est bien ?
Deux récits liés d’une exceptionnelle richesse : L’ensemenceur, suivi des Huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun.
Premier plaisir, celui de la langue, délicieusement classique et ciselée, qui apporte au texte la forme d’un conte. Une plume que j’ai savourée et qui donne envie de narrer, déclamer, conter à haute voix cette histoire au charme oriental. Les éléments culturels, ensuite, provoquent une immersion totale dans le quotidien de Kemal. Les auteurs apportent au lecteur les éléments qu’il faut pour la compréhension. Histoire et religion s’entremêlent au bénéfice d’une très grande qualité de fond, jamais je ne me suis sentie perdue.
Yves et Ada Rémy se servent de ces éléments pour mettre sur pied un texte passionnant, où les visions de Kemal le pêcheur vont venir se heurter à notre histoire. Notre héros parviendra-t-il à contrer ses visions ? J’ai retrouvé dans ce livre beaucoup de thèmes traités à travers les mythes gréco-latins, et foultitude de questionnements sur le destin et le libre arbitre. On trouve également dans Le prophète et le vizir un regard pacifiste et humaniste, certains passages faisant fortement écho à notre actualité.
Si le premier texte tient du compte, le second (suite directe du premier), tient quasiment du théâtre et de la tragédie grecque. Les choix de narrations sont absolument géniaux, et jusqu’au bout, le lecteur est tenu en haleine, bien que la fin soit dévoilée dès le début. Une histoire comme je les aime, qui vient conforter mon idée que les spoilers n’existent pas quand la plume et l’ouvrage sont aussi riches, intelligents et passionnants.
Oscillant entre fantastique et science-fiction, entre classicisme et modernité, Le prophète et le vizir offre deux contes d’une très grande finesse de plume et de fond. A découvrir d’urgence (ainsi que le catalogue Dystopia / Scylla, d’une fort grande richesse).
Très jolie chronique, ça donne envie. Merci !
J’aimeJ’aime